Le marché du DVD en forte chute
Les années de croissance à deux chiffres qui ont caractérisé le marché de la vidéo en France font place, depuis un an, à une sérieuse régression.
Selon le baromètre CNC-GFK, le volume d'affaires a baissé de 12,8 % entre juillet 2005 et juin 2006, atteignant à cette date 1,7 milliard d'euros. Le cinéma est le plus touché, avec une chute de près de 18 % au premier semestre. "Le temps consacré aux loisirs n'est pas extensible à l'infini et l'importance colossale de la piraterie sur Internet (120 millions de films ont été téléchargés illégalement en 2005) explique la baisse du marché", explique Jean-Yves Mirski, délégué général du Syndicat de l'édition vidéo, qui regroupe les plus gros éditeurs.
"On a assisté pendant des années à un phénomène de "gavage", de surabondance de l'offre, avec comme corollaire des opérations de bradage sur Internet, souligne Renaud Delourme, PDG des Editions Montparnasse et président de l'Union de l'édition vidéographique indépendante. La bulle se dégonfle et c'est plutôt une bonne chose. Les millions de DVD de mauvaise qualité vendus à 1 euro ont pollué le marché. Faire d'un DVD un produit d'appel pour la grande distribution, comme le saumon ou le foie gras, ce n'est pas bon. Privilégier la quantité sur la qualité conduit à la désaffection du public."
Selon M. Delourme, la baisse des prix des DVD - stabilisés à plus de 12 euros - a désorganisé le marché. "Les majors hollywoodiennes ont baissé leurs prix, la Fnac vend moins cher ses nouveautés, les tarifs chutent parfois de 50 % trois mois après la sortie d'un titre, affirme-t-il. Il a manqué un prix unique du DVD semblable au prix unique du livre."
Exister, réussir à vendre des DVD, devient chaque jour plus difficile pour un éditeur. L'offre est énorme : 5 700 nouvelles références sont sorties en 2005 - rééditions et nouveautés.
L'accès aux points de vente est compliqué pour les éditeurs indépendants. Les hypermarchés réalisent deux tiers des ventes de la vidéo, le reste transite par les sites Internet (10 %) et les magasins spécialisés comme les Fnac ou Virgin.
"On assiste au même phénomène que dans les salles : si les ventes du DVD d'un film d'auteur sont insuffisantes le premier mois à la Fnac ou chez Virgin, le titre disparaît. Ces magasins n'ont pas pour vocation de faire vivre le cinéma d'auteur", déplore Adrienne Fréjacques, responsable des éditions d'Arte Vidéo.
S'ADAPTER À LA CRISE
Vincent Paul-Boncourt, qui dirige Carlotta Films, sort ainsi une trentaine de films par an. Des oeuvres de Pasolini, d'Antonioni, d'Ozu ou encore une collection dédiée à Bollywood. Il investit de 40 000 à 150 000 euros pour éditer un coffret de qualité, avec des bonus dignes de ce nom. Mais les ventes s'étiolent, ne dépassant parfois pas 2 000 exemplaires. "Le marché est d'autant plus tendu qu'il existe une surenchère entre les éditeurs pour l'obtention des droits", souligne-t-il.
Arte Vidéo tire son épingle du jeu avec des documentaires, ou avec "des films fondamentaux de l'histoire du cinéma, comme Hiroshima mon amour, Nuit et Brouillard, La Jetée de Chris Marker, etc. Il existe plus de 30 000 personnes qui achèteront forcément ces titres pour les avoir dans leur bibliothèque. C'est ce que j'appelle le kit "Je suis moins bête en ville"", indique Mme Fréjacques.
Petits et gros éditeurs de DVD doivent s'adapter à la crise. Pierre Brossard, PDG de TF1 Vidéo, se veut optimiste. "La vidéo est tributaire du marché du cinéma et directement liée aux succès des films en salles." Il prévoit une embellie pour la fin de l'année, d'autant que les ventes de DVD sont concentrées sur décembre.
En France, le délai légal d'exploitation des films en DVD est fixé à six mois après la sortie en salles. Un laps de temps que bien des éditeurs veulent réduire à quatre mois.
Mais l'expérience, menée aux Etats-Unis, du lancement simultané de Bubble, film de Steven Soderbergh, en salles, en DVD et en vidéo à la demande (VOD) n'est pas souhaitée dans l'Hexagone.
Tout au plus certains éditeurs sortent-ils simultanément une réédition en salles et en DVD. Tel Vivre dans la peur, un inédit d'Akira Kurosawa, qui sera à l'affiche des cinémas parisiens Action et édité en DVD par Wild Side Vidéo le 8 novembre.
Peut-on prévoir le succès d'un film en DVD ? "Les taux de conversion du succès des films entre la salle et la vidéo ne se vérifient plus de façon mécanique. Longtemps, les ventes de DVD d'un film d'action américain représentaient jusqu'à 30 % de ses entrées en salles et 5 % à 7 % pour un film d'auteur français. Aujourd'hui, c'est beau d'arriver à 15-20 % pour le premier et à 3 % ou 5 % pour le deuxième", explique Rodolphe Buet, directeur général adjoint à Studio Canal.
Dans ce schéma, les majors hollywoodiennes réalisent d'importantes économies en amortissant les coûts de sortie au niveau mondial, et pas uniquement sur les pays francophones.
Pascal Fauveau, directeur général de Paramount Home Entertainment France, espère ainsi vendre 700 000 DVD de La Guerre des mondes et attend beaucoup de Mission : impossible 3. Les sorties sont planifiées à Los Angeles, même si une certaine latitude éditoriale est demandée au niveau local.
A court terme, l'existence de deux nouveaux standards non compatibles dans les DVD en haute définition freinera la relance du marché : les consommateurs attendront qu'une norme s'impose. Sans compter que la vidéo à la demande et la vente immatérielle de films, encore microscopiques, deviendront, selon M. Bossard, un relais de croissance d'ici trois ou quatre ans.
Nicole Vulser
Le secteur en chiffres
Les achats de DVD ont baissé au cours du premier semestre 2006 de 11,1 %, représentant 684 millions d'euros, selon le baromètre CNC-GFK. Il s'est vendu 56,1 millions de DVD (- 10,6 %) au cours de cette période. De juillet 2005 à juin 2006, le marché a chuté de 12,8 % en valeur (à 1,69 milliard d'euros) et de 4,3 % en volume (à 134,7 millions d'unités). Apparu en 1986, le marché de la vidéo a commencé à baisser en 2005.
Les films, qui représentent 56,8 % du marché, se vendent moins bien qu'auparavant (- 17,8 % par rapport au premier semestre 2005). Ce qui profite aux fictions télévisées, à la musique, aux films pour enfants et aux DVD humoristiques. Le recul du cinéma français est plus limité que celui des films américains.
Le prix moyen du DVD s'est stabilisé à 12,27 euros, après une baisse régulière observée depuis plusieurs mois. Les offres de DVD à très bas prix ont diminué.
Les meilleures ventes sont, depuis janvier, Le Transporteur 2 de Louis Leterrier et Les Bronzés 3 de Patrice Leconte pour les films français. Pour les films américains, il s'agit de Narnia d'Andrew Adamson, du dernier opus d'Harry Potter, de Mr and Mrs Smith de Doug Liman, de Charlie et la Chocolaterie de Tim Burton, King Kong de Peter Jackson et La Guerre des mondes de Steven Spielberg.
Les aides publiques. Le CNC accorde près de 11 millions d'euros d'aides aux éditeurs vidéo.
Les standards technologiques. Le DVD représente plus de 99 % du marché, la VHS ayant quasiment disparu. Deux standards concurrents et incompatibles ont été mis au point, par Matsushita (HD DVD) et par Sony (Blue Ray), pour les futurs DVD haute définition.
Studio Canal est le premier éditeur vidéo français à lancer une dizaine de titres en HD DVD.
Article paru dans l'édition du 22.10.06
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