Jeudi 19 octobre 2006
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MEDIAS - INTERNET -
DAVID BARROUX
Médias : les dinosaures font de la résistance
Les géants traditionnels des médias ont l'atout de leurs contenus qui restent rois, que ce soit à la télévision, sur Internet ou sous forme de DVD.
On les donnait pour morts. Ils bougent encore. Il y a encore peu de temps, investisseurs, experts et donneurs de leçons en étaient persuadés : les géants de l'audiovisuel avaient des allures de dinosaures voués à disparaître. Face à un jeune Google qui vient d'annoncer le rachat de YouTube, une « babystar » du téléchargement de contenus, à un Yahoo! ou à d'autres prodiges d'une nouvelle économie requinquée, les symboles ringards d'un siècle passé étaient au mieux promis à une mort lente. A la rigueur, les plus généreux voulaient bien accorder une petite chance de survie aux branches les plus récentes des vieilles plantes médiatiques. MTV ou les autres chaînes thématiques spécialisées du groupe Viacom (Nickelodeon, Comedy Central...) avaient ainsi une carte à jouer dans un monde en pleine transformation.
Surprise ! En cet automne 2006, la soupe à la grimace a changé de camp. Lors de la conférence annuelle sur les médias organisée par Goldman Sachs à New York, le patron qui tirait une tête de six pieds de long était celui de Yahoo!, et le « boss » de Viacom, qui paradait l'an dernier sur la même scène, n'était plus de la fête pour cause de licenciement récent. Les PDG de Disney, News Corp., et même CBS, victimes des quolibets il y a un an, affichaient, eux, une mine confiante. Personne n'ira jusqu'à prétendre que les dinosaures vont retourner la tendance totalement en leur faveur et terrasser toutes les jeunes pousses arrogantes dont certaines, comme Google, ne cessent de progresser. Mais il semble acquis que les acteurs traditionnels du cinéma et de la télévision vont faire mieux que simplement résister.
Si les dinosaures remontent la pente, c'est que les « papys » sortent de leur léthargie après avoir été anesthésiés par les premiers coups de boutoir des nouveaux acteurs du Web. Symbole de ce dynamisme retrouvé, Disney n'hésite plus à briser des tabous comme la sacro-sainte « chronologie des médias », qui détermine les délais entre la sortie d'un film en salles et ses reprises sous différents supports. « Nous sommes agnostiques en termes de plate-forme de distribution », prêche Bob Iger, PDG depuis un an. A ses yeux, peu importe le canal de vente du moment que ses clients consomment du Disney. Les amoureux de Mickey ou de « Desperate Housewives » peuvent ainsi désormais acheter des films et des séries télé sur le site iTunes d'Apple ou regarder en léger différé les séries les plus populaires de la chaîne ABC sur le site Abc.com. « Il n'y a pas de cannibalisation », affirme le PDG. Exemple de « Lost » à l'appui : « Les ventes du boîtier DVD de la deuxième saison démarrent plus fort que celles de la première saison, alors qu'il s'agit de la série la plus téléchargée sur iTunes et de la plus regardée sur Abc.com. » Autre avantage : le rajeunissement de l'audience, avec un âge moyen de 29 ans sur Abc.com, contre 42 ans sur ABC.
Echaudés par l'échec de la fusion de 2000 entre Time Warner et AOL, les acteurs traditionnels semblent également avoir depuis retrouvé le goût du risque. Rupert Murdoch n'a ainsi pas hésité en 2005 à dépenser plus de 1 milliard de dollars dans l'achat d'une poignée de sites Internet. Dans le lot, le patron de News Corp. a mis la main sur le site MySpace, qui s'affirme comme la force montante de la deuxième vague de l'Internet. Si ces nouveaux rachats payent, ce n'est pas seulement parce que le tycoon australien a du nez. Tirant la leçon des échecs des premières acquisitions de start-up par des groupes établis, le patron de News Corp. a aussi veillé à ne pas étouffer les sites tombant dans son escarcelle. Pour s'imposer dans cette nouvelle ère, les dinosaures l'ont compris : il ne faut pas essayer de faire du neuf avec du vieux. L'idée n'est plus de tout intégrer ou de fusionner les équipes, mais bien de faire vivre en parallèle deux mondes qui peuvent s'épauler sans se phagocyter.
Et c'est sans doute là que réside la principale force des acteurs établis. Après n'avoir vu que leurs faiblesses, certains réalisent qu'ils disposent également d'avantages compétitifs. Ils s'appuient sur des moyens financiers, techniques et commerciaux importants et des audiences massives (entre 15 et 20 millions de téléspectateurs chaque soir pour les principales chaînes). Ils ont aussi l'atout de leurs contenus, qui restent rois, que ce soit à la télévision, sur Internet ou sous forme de DVD. « Il existe des centaines de façons de faire payer pour notre contenu, et nous commençons à comprendre ce qui marche. Je vous promets que nous serons payés », assure Les Moonves, le patron du groupe CBS (télévision, radio, affichage, etc.), qui négocie aussi bien avec les câblo-opérateurs qu'avec les sites Internet comme Yahoo!, Google ou iTunes des accords de distribution et de partage de revenus qui ne seront pas forcément à l'avantage des seconds.
Car les sites qui ont fait fortune hier en recensant des contenus écrits par d'autres sans rémunération constatent aujourd'hui qu'ils ne peuvent pas pirater les contenus audiovisuels s'ils veulent rester respectables et évoluer dans un cadre légal. Les sites ayant le vent en poupe peuvent certes prospérer en surfant sur la vague des contenus créés par les utilisateurs (blog sur My- Space, partage de photos et d'informations sur FaceBook, vidéos sur YouTube...). Mais, pour enrichir leur offre, ils doivent aller frapper à la porte des grands groupes audiovisuels ou des détenteurs de droits. L'inverse n'est pas vrai. CBS a ainsi prouvé qu'il pouvait tout seul faire rimer Internet et millions de dollars. « L'année dernière, nous avons diffusé sur Internet le tournoi de la NCAA [basket universitaire, NDLR] avec une formule payante qui nous a rapporté 250.000 dollars. Cette année, nous avons récolté 4,5 millions avec une diffusion gratuite sur Internet financée par la pub. L'année prochaine, ça sera le double, et il s'agit de recettes supplémentaires qui ne nous font pas perdre un téléspectateur », explique le PDG d'un groupe qui peut acquérir des droits de retransmissions sportifs qu'il sera capable de valoriser aussi bien sur un écran de télé que sur un écran de PC.
Même si la publicité sur Internet peut représenter dès l'année prochaine près de 10 % de la publicité télévisée, les spécialistes comme Veronis Suhler Stevenson estiment que près de la moitié des recettes de cette publicité interactive peut être captée par les acteurs traditionnels, contre seulement 16 % en 2000. « Même la télévision traditionnelle a un bel avenir », promet Rupert Murdoch. Selon lui, les Américains qui s'enthousiasment pour les grands écrans plats vont retomber amoureux de leur téléviseur avec le développement de la diffusion numérique haute définition. Les dinosaures vont encore nous faire passer quelques belles soirées.
DAVID BARROUX est correspondant des « Echos » à New York ; david.barroux@ft.com
©LesEchos
J'ai surtout retenu que sur internet le "gratuit" peut rapporter plus que le "payant"
" << L'année dernière, nous avons diffusé sur Internet le tournoi de la NCAA [basket universitaire, NDLR] avec une formule payante qui nous a rapporté 250.000 dollars. Cette année, nous avons récolté 4,5 millions avec une diffusion gratuite sur Internet financée par la pub. L'année prochaine, ça sera le double, et il s'agit de recettes supplémentaires qui ne nous font pas perdre un téléspectateur », explique le PDG d'un groupe qui peut acquérir des droits de retransmissions sportifs qu'il sera capable de valoriser aussi bien sur un écran de télé que sur un écran de PC.>>
Certains éditeurs musicaux semblent vouloir tirer profit de cette analyse et proposer sur internet de la musique gratuite financée par de la pub ...

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