chicken78 a écrit:Ceci dit, je reste abasourdie par la dureté de la sanction : 6 mois sans salaire! et un changement de poste.
C'est pour l'exemple, soyons clairs. Pour ses collègues, pour les profs et les autres personnels (et je me suis senti visé). Ceci est à replacer dans un cadre où tout le ministère, et tout spécialement ses chefs d'établissements d'enseignement secondaire, sont mobilisés pour tâcher d'empêcher le phénomène des blogs des élèves de déraper. Un personnel de l'EN qui fait des c.ries à ce moment-là, tout spécialement un proviseur, pouvait s'attendre à de gros ennuis. Le blog de Garfieldd réunissait, malgré sa pertinence et sa finesse générales, toutes les bêtises que nous ne voulons pas que nos élèves fassent (à part peut-être une photo de son intendant roupillant dans son bureau...).
Il ne semble pas avoir été tenu compte de la nouveauté du média incriminé.
Justement si...
Je n'ai au cours de mon année de formation jamais entendu parler du fameux devoir de réserve auquel je serais tenue. Et je suis prof. J'espère que les principaux et proviseurs sont mieux formés que nous à ce sujet.
Oui, cela fait partie de leur programme. On leur serine à longueur de stages qu'ils sont de fonctionnaires représentant l'autorité, l'Etat, qu'ils doivent se restreindre dans toutes leurs apparitions publiques, qu'ils doivent donner leur adresse de vacances à leur Inspecteur d'Académie et demander une autorisation pour quitter le teritoire métropolitain, qu'ils doivent s'abstenir d'engagement public politique, religieux ou assimilé dans l'aire de recrutement de leurs élèves, j'en passe et des meilleures.
Je connais des collègues -je précise : bons pères de famille- qui tiennent le même genre de blogs, c'est à dire qui mélange l'anniversaire de la petite dernière et les commentaires sur le dernier CA ou la dernière réunion parents-profs. Que peut-il leur arriver?
Des ennuis ! Ils doivent absolument réfléchir à chaque phrase et et ses implications potentielles. C'est une société judiciarisée, dans laquelle n'importe qui peut faire des ennuis à tout le monde sur un simple prétexte. Les profs sont très doués pour cela, foi d'intendant qui en a pris plein la g. pour pas un rond pendant mes dernières années dans le paradisiaque neuf-trois.
L'amagalme de départ entre l'homosexualité et la pornographie a escamoté complètement un débat qui aurait pu être utile à tous.
Quelle est désormais la limite entre la vie privée et la vie professionnelle dans les blogs?
La réponse est très simple : qui, sur l'Internet, parle d'un sujet professionnel, doit pour ne pas avoir de problèmes, s'appliquer les règles de sa profession comme s'il agissait sur ordre de sa hiérarchie. C'est la seule manière de faire qui permet à peu près d'éviter l'essentiel de ses ennuis. Pour aller au-delà (au-delà d'une attitude professionnelle stricte, pas au-delà du respect des personnes et des règles en général), il faut un luxe de précautions, parmi lesquelles l'anonymat, au moins formel, tout le monde pouvant être reconnu.
Donc, si un blog parle de boulot, il doit être anonyme, ou bien absolument anodin. S'il est anodin, il n'intéressera pas grand monde. Donc un blog parlant de l'expérience professionnelle de son auteur doit nécessairement brouiller les pistes, ne pas permettre (au-delà d'un cercle restreint de gens qui les connaissent déjà) la reconnaissance des personnes et des situations décrites.
En gros, en se relisant, il faut se demander si le juge pourra reconnaître de qui il s'agit. Que le patron reconnaisse sa boîte n'expose normalement qu'à des brimades. Enfin, ça dépend du patron, mais si c'est un sadique, on sera nécessairement plus prudent... Si le patron peut prouver que la lecture seule d'un blog (ou un recoupement simple avec d'autres sites accessibles et notamment en lien avec lui) permet à des étrangers à la situation de reconnaître et décrypter tout de la vie interne de son établissement/entreprise, là on est très loin derrière la ligne jaune.
Dans mon site perso qui parle de l'intendance, je prends quelques risques, car des propos critiques à l'encontre de l'Institution y sont tenus. Mais je suis très attentif à la proportion de critique, pratiquement toujours présentée de manière ironique. Jamais de noms ni de titre d'établissement, le moins possible même le nom de mon académie. Et puis je ne mets que des critiques sur des situations, jamais sur des personnes. Je dis par exemple que les services informatiques de mon Rectorat sont incapables d'assister les intendants dans leurs problèmes avec le logiciel de gestion, et que c'est un scandale absolu. Jamais je n'écrirais ni même ne laisserais penser qu'il y a des gens dans ce service qui seraient incompétents. Je décris la situation, éventuellement j'en donne ce qui m'en semble la raison : insuffisance des moyens, mauvais choix... "Mauvais choix", c'est déjà critiquer ceux qui les ont faits (qui ne sont pas nommés ni attaqués par ailleurs), mais qu'ils viennent donc me chercher en commission disciplinaire sur des propos pareils, j'attends de voir...
Il est vrai que je n'ai pas choisi de tenir un blog avec mes états d'âme au quotidien, mais un site d'entraide pour les collègues dans la peine. J'ai donc forcément plus de recul, et je ne parle normalement que pour indiquer des solutions aux problèmes qui se posent. Il est d'ailleurs emblématique que, quand j'ai été convoqué par ma hiérarchie au sujet de mon site, les pages sur lesquelles on m'a fait des réflexions étaient celles de la section... humour. Les profs de mon collège qui avaient été me "dénoncer" tenaient à prouver qu'ils en manquent gravement...
A priori, la diffusion de l'Intendance Zone ne dépasse pas, pour des raisons de jargon, d'intérêt tout simplement, le milieu des personnels administratifs de l'EN. Ce qui était aggavant mais aussi particulièrement intéressant dans le cas du blog de Garfieldd, c'était qu'il permettait à des étrangers au système d'avoir une idée de comment se dirige un établissement, et c'était vraiment une bonne chose.
Quant au coté pragmatique : vivons cachés, vivons heureux, c'est certes la solution la plus sure et la plus simple.
C'est un peu ça. D'ailleurs, l'affaire Garfieldd m'a fait réfléchir à la nécessité de carrément supprimer tout lien entre mon site perso à proprement parler, et l'Intendance Zone.C'est purement formel (même hébergement etc) mais je pense que je vais procéder prochainement à cet élagage.
Garfield préfère clore l'affaire. C'est bien compréhensible : après un tel coup de massue difficile d'avoir encore le goût de s'exprimer.
C'est son droit.
J'espère ardemment que l'Internet reverra son exprit incisif à l'oeuvre, sous des traits qui rendront impossible qu'on lui nuise. Naturellement la hiérarchie n'appréciera pas un tel défi, mais s'il respecte les éléments de bon sens que j'indique plus haut, ça pourrait être n'importe lequel des 10 000 chefs d'établissement de France qui ferait cela, alors pourquoi l'embêter parce qu'il s'est fait prendre une première fois à ne pas être assez prudent ? Il fera ce qu'il voudra/pourra.
Ca n'empechera pas d'autres de débattre de la liberté d'expression sur les blogs.
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"La cacahouète, c'est le mouvement perpétuel à la portée de l'homme" (Jean-Claude Van Damme)