Jeu 21 Sep, 2006 14:33
Bonjour Taupinette,
C'est peu courant de lire sur un forum libriste une telle conception de l'art et du droit d'auteur. Je m'étonne presque d'avoir vu des réactions aussi mesurées (et rares) à tes propos -- profondément polémiques, quoi que tu en dises.
Tu as développé une vision du droit d'auteur qui me laisse perplexe. J'avoue ne pas connaitre grand chose à l'histoire de l'art, mais sans être juriste j'ai deux ou trois notions de ce que l'on peut trouver dans le Code de la propriété intellectuelle, et il me semble que les droits d'auteur ne sont pas des droits des artistes, mais des droits de toute personne auteure d'une œuvre de l'esprit.
Et une œuvre de l'esprit, mine de rien, c'est très large. La loi dit clairement que les considérations esthétiques ne rentrent pas en ligne de compte dans les critères de ce qui est protégeable par le droit d'auteur ou pas. On pourra donc donner les définitions que l'on veut de « l'art », la loi s'en fiche royalement. Malgré l'histoire de l'art, malgré les origines du droit d'auteur, malgré l'ami Beaumarchais -- qui par ailleurs a bon dos. À propos de Beaumarchais, il me semblait pourtant que le principe d'accorder des droits exclusifs aux auteurs plutôt qu'aux éditeurs datait du Statute of Anne, soit de 1709. Que le rôle de Beaumarchais ait été décisif en France, c'est une chose. De la à dire qu'il est l'inventeur du droit d'auteur...
Droit d'auteur = salaire pour les professions artistiques ?
Je ne doute pas du fait que les professions artistiques tirent une partie substantielle -- voire l'intégralité -- de leur revenu des droits d'auteur. Le droit d'auteur ne se résume cependant pas à cela :
1) La notion de « professions artistiques » ne couvre pas l'intégralité du champ d'application des rémunérations via le droit d'auteur, sauf à y inclure la littérature (pas trop difficile, les lettres s'accomodant facilement des arts), mais aussi le journalisme, la production de documents techniques, et bien d'autres choses encore.
2) Le droit d'auteur est automatique, quelle que soit la « qualité » (définie par qui ?) des productions. La réponse que je rédige à l'instant, pourtant peu artistique et sans doute de qualité médiocre, est couverte par le droit d'auteur. Je possède sur ce court texte une série de droits exclusifs. Et pourtant, je ne toucherai pas un sous pour cette œuvre de l'esprit. J'en suis fort marri.
3) Surtout, surtout, cette définition du droit d'auteur comme garant d'un salaire pour les professions artistiques flirte trop, à mon sens, avec une vision légitimiste de la culture, qui opposerait professionnels de l'art (qui ont bien besoin du droit d'auteur pour manger) et simples amateurs, qui à la rigueur n'ont aucune légitimité pour a) se réclamer du droit d'auteur et b) en contester les fondements via la diffusion libre (sous licence de libre diffusion, type Creative Commons, ou sans autre forme de procès) de leurs « œuvres ».
Chère Taupinette (ou cher Taupinette, peut-être), c'est surtout sur ce troisième point que j'aimerais avoir quelques éclaircissements. L'idée que les droits d'auteur sont une source de rémunération pour les professions artistiques -- et plus qu'une idée, il s'agit d'une réalité relativement répandue -- est bien connue sur ces forums. Il me semble nécessaire de la nuancer par le fait que la majeure partie de la création artistique est peu ou pas du tout rémunérée... un fait hélas difficilement vérifiable, tant la nature peu ou pas économique de ces activités nous prive d'indicateurs économiques pour les mesurer.
Le problème de ce « droit d'auteur = salaire pour les professions artistiques », c'est qu'il faut :
1) Estimer la réalité sociologique :
- D'une part, définir qui est auteur. Si on se fie au droit, tout le monde est potentiellement auteur, plus ou moins modestement. Si l'on se base sur l'observation sociologique et que l'on s'éloigne de la notion d'auteur pour aller vers celles des « pratiques artistiques », on constate que cela recoupe tout de même un nombre impressionnant de personnes.
- D'autre part, mesurer les revenus générés par les droits d'auteur, et leur répartition. On peut alors mettre en rapport cette échelle de grandeur avec celle de l'étendue de la création artistique. Je n'ai pas les moyens (documents, études) de produire ici des chiffres, mais je soupçonne un décalage fort entre pratiques artistiques en général et droits d'auteur perçus.
2) Se positionner idéologiquement
Je ne pense pas que l'on puisse y échapper. La quasi-totalité des discours sur le droit d'auteur et la culture sont idéologiquement marqués. Que l'on connaisse mal ou assez bien la réalité sociologique, on se retrouve souvent à affirmer « le droit d'auteur devrait être ainsi » ou « le droit d'auteur devrait être utilisé comme cela » ou encore « l'art/la culture, c'est <insérer ici un positionnement idéologique> ».
Pour ce qui est des positionnements idéologiques, j'ai (en partie) conscience du mien, du moins dans les grandes lignes. Je peux tenter l'exposer si cela intéresse quelqu'un. En attendant, chère Taupinette, je m'intéroge sur le votre. J'ai cru le sentir quelque peu élitiste, ou du moins profondément légitimiste. Mais j'ai pu me tromper ?