J'exhume ce sujet, car la Cour d'appel de Versailles a statué le 16 mars 2007 sur appel du jugement du Tribunal correctionnel de Pontoise, dont il était question ici.
Rappel des faits et de la procédure :
Le 18 Février 2004, les gendarmes du Service Technique de Recherches Judiciaires et de Documentation de Rosny-sous-Bois, agissant dans le cadre de leur mission de surveillance du réseau internet, ont découvert un serveur géré par un particulier et dédié à l’échange de supports informatiques, dont un utilisateur français se livrait sous le pseudonyme de « Altapunkz » à la contrefaçon et à la distribution de musique hors des circuits commerciaux.
Les enquêteurs se sont plus particulièrement intéressés aux transactions effectuées par cet internaute via des "hubs".
Un hub (terme anglais signifiant "moyeu") est un ordinateur personnel (PC) dont le propriétaire a accepté, en donnant accès à une partie de son disque dur, d’accueillir d’autres PC connectés en étoile autour de lui et de remplir ainsi la fonction d’un administrateur de réseau ayant le pouvoir d’agréer de nouveaux membres s’ils sont eux-mêmes en mesure d’enrichir ce réseau en mettant à disposition des autres adeptes un volume suffisant de données.
La conséquence pratique du dispositif est que l’accès à la source de fichiers recherchée est conditionné à l’acceptation, par le nouvel impétrant, de la diffusion aux autres membres de ceux dont il dispose ... et ainsi de suite.
Ainsi se développe, telle une réaction en chaîne, la diffusion exponentielle d’œuvres contrefaites.
En l’espèce, Altapunkz avait installé un logiciel gratuit de type "Direct Connect" DC++ sur son propre ordinateur et offrait publiquement les ressources de son ordinateur soit 30 000 giga [sic] de donnée.
Aucun code d’accès n’étant nécessaire pour visualiser l’espace partagé sur le disque dur d’Altapunkz à partir duquel était de la sorte diffusé librement dans le "cyberespace" de nombreux fichiers musicaux au format MP3.
Altapunkz, dont l’adresse électronique était "alain.O.@free.fr", a été localisé par les gendarmes comme utilisateur du compte dont était titulaire auprès du fournisseur d’accès Free, Mme Élodie B., demeurant à Pontoise (Val d’Oise).
Le 18 Août 2004, une perquisition a été effectuée au domicile de Mme B. dont le concubin, M. Alain O. a déclaré être l’unique utilisateur de la ligne internet ouverte au nom d’Élodie B.
Au cours de cette opération, ont été découverts et saisis :
- d’une part, 185 disques compacts "CD" gravés, dont 174 supportant des œuvres musicales et 5 des films,
- d’autre part, la tour de l’ordinateur utilisée par M. O., dont l’exploitation ultérieure permettra de découvrir la présence d’environ 10 000 fichiers musicaux classés par nom d’interprète et répertoriés par titre d’album, ces derniers au nombre de 493, ainsi que 7 films au format DivX.
Entendu par les enquêteurs, M. Alain O. a admis avoir téléchargé, courant 2003, le logiciel DC++ lui permettant de se connecter à des hubs. Il a indiqué qu’il « avait pu durant environ un an télécharger et mettre à disposition des autres participants, des musiques et des films (...) » et a admis qu’ « en outre, [il] avai[t] pratiqué la gravure de certaines de ces musiques à des fins personnelles ».
Il a avoué qu’il « savai[t] que c’était interdit mais qu’[il] ne se rendai[t] pas compte de la gravité de ce qu’[il] faisai[t] ».
Avisées de ces faits, la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique (Sacem), la Société pour l’Administration du Droit de Reproduction Mécanique des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs (Sdrm), la Société civile des Producteurs de Phonogrammes en France (Sppf) et la Société Civile des Producteurs phonographiques (Scpp) ont déposé plainte.
À l’issue de l’enquête préliminaire Alain O. a, sur instructions du procureur de la République, été convoqué par un OPJ à comparaître devant le tribunal correctionnel de Pontoise sous la prévention d’avoir :
« à Pontoise-95, en tout cas sur le territoire national, d’août 2003 à août 2004 et depuis temps n’emportant pas prescription, gravé et téléchargé en entier ou partie, 614 albums de musiques sans respecter les droits d’auteur et notamment la Sacem, la Scpp, et la Sppf, commettant ainsi des contrefaçons.
Faits prévus et réprimés par les articles L 335-2 al. 1, al. 2, L 335-3, L 112-2, L 121-8 al. 1, L 122-3, L 122-4, L 122-6 du code de la propriété intellectuelle, L 335-2 al. 2, L 335-5 al. 1, L 335-6, L 335-7 du code de la propriété intellectuelle ».
En première instance, Alain O. avait été condamné à :
Sur l’action publique (= sur le plan pénal, en vue de punir) :
A déclaré Alain O. coupable pour les faits qualifiés de :
Contrefaçon par édition ou reproduction d’une œuvre de l’esprit au mépris des droits de l’auteur, du 01/08/2003 au 31/08/2004, à Pontoise,
infraction prévue par les articles L 335-2 al. 1, al. 2, L 335-3, L 112-2, L 121-8 al. 1, L 122-3, L 122-4, L 122-6 du code de la propriété intellectuelle, et réprimés par les articles L 335-2 al. 2, L 335-5 al. 1, L 335-6, L 335-7 du code de la propriété intellectuelle.
1- L’a condamné à 3 000 euros d’amende avec sursis
2- A ordonné la confiscation des scellés,
3- ainsi que la publication du jugement dans Libération et dans le Parisien Edition Val d’Oise, sans que le coût n’excède 1500 euros par parution
4- A ordonné la non mention au bulletin n° 2 de son casier judiciaire
Sur l’action civile (= sur le plan civil, en vue d'indemniser):
a déclaré recevable la constitution de partie civile de la Sacem, la Sppf, la Scpp, la Sdrm.
a condamné Alain O. à payer :
- à la Sacem la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 400 euros au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale,
- à la Sppf la somme de 1.200 euros à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 700 euros au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale,
- à la Scpp la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 700 euros au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale,
- à la Sdrm, la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 400 euros au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale.
Le prévenu a alors décidé de faire appel. Aussitôt, le Parquet, la SCPP, la Sacem et la SDRM ont également interjeté appel.
Une précision procédurale s'impose : il ne peut y avoir aggravation des peines prononcées en première instance qu'en cas d'appel du prévenu.
Ainsi, en l'absence d'appel du prévenu, l'appel des parties civiles ou du Parquet ne peut aggraver les peines prononcées, sous peine de cassation.
Et justement, l'arrêt d'appel laisse une impression mitigée, à certains égards il est favorable à l'internaute, à d'autres il aggrave sa sanction de façon non négligeable...
Voici ce que décide la Cour d'appel de Versailles :
1- premier point positif, elle écarte une partie des demandes des parties civiles (=victimes réclamant une indemnisation de leur préjudice).
Ainsi, elle déclare irrecevable les constitutions de partie civile de la SPPF et de la SCPP.
La raison est procédurale :
l'acte de poursuite ne visait que les atteintes au droit d'
auteur.
Or, ces deux dernières sociétés défendent la protection des droits
voisins, en l'occurence, ceux des producteurs, comme leurs noms l'indiquent (Société civile des Producteurs de Phonogrammes en France et Société Civile des Producteurs phonographiques).
Pour que leur demande soit recevable, il aurait donc fallu que l'acte de poursuite soit également fondé sur l'article L335-4 du Code de la propriété intellectuelle (qui réprime toute reproduction et mise à disposition du public, sous quelque forme que ce soit, y compris sous forme d’échange à titre onéreux ou gratuit, et de quelque manière que ce soit, d’un enregistrement musical interprété par un artiste sans l’autorisation de son
producteur légitime).
On peut donc gager qu'à l'avenir, ces plaignants prendront soin d'éviter cette omission :
La cour remarque qu’il aurait été possible aux société de producteurs, se fondant sur la procédure établie dans cette affaire par la gendarmerie, dont elles avaient connaissance, de faire délivrer à M. O. une citation directe spécifique visant la qualification appropriée, plutôt que d’agir par voie d’intervention dans le cadre de la procédure initiée par le parquet.
2- de façon assez contestable, elle considère en revanche que l'acte de poursuite, qui visait le fait d'avoir "gravé ou téléchargé" des albums de musique, englobe également la mise à disposition :
* Nature des faits
La cour considère qu’en utilisant les termes "gravé et téléchargé", le ministère public a entendu poursuivre tant la reproduction d’œuvres en violation des droits de leurs auteurs que leur diffusion illicite sur le réseau internet.
En effet, la définition du terme "télécharger", telle que publiée au Bulletin officiel N°34 du 19 septembre 2002 du Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche est la suivante :
« téléchargement, n. m.
Domaine : Télécommunications / Internet.
Définition : Transfert de programmes ou de données d’un ordinateur vers un autre.
Note : Pour un internaute, le téléchargement est le plus souvent un transfert vers son propre ordinateur à partir d’un serveur, mais il peut avoir lieu dans l’autre sens.
Équivalent étranger : downloading (téléchargement à partir d’un autre ordinateur), uploading (téléchargement vers un autre ordinateur). »
Il se déduit de ce qui précède que la poursuite diligentée contre M. Alain O., en ce qu’elle vise le téléchargement d’oeuvres, ne se limite pas contrairement à ce qu’il fait plaider, à la reproduction d’œuvres diffusées sur le réseau internet, mais également à leur diffusion et donc à la pratique du peer-to-peer.
La Cour considère donc que le mot téléchargement englobe aussi l'uploading. Cette définition large est notamment contredite par la circulaire d'application de la loi DADVSI du 1er août 2006 (dont je parlerai dans un autre message) qui distingue bien téléchargement (downloading) et mise à disposition (uploading).
Il n'était pas sérieusement contestable en l'espèce que l'internaute ait mis à disposition (uploadé) des oeuvres, la question était de savoir s'il était ou non poursuivi pour ces actes (l'enjeu pratique étant la peine et les indemnités qui en découlent).
3- sur la question controversée de l'exigence ou non d'une source licite pour pouvoir faire valoir l'exception de copie privée,
Par ailleurs, selon lui, la notion de "source illicite" qui n’est pas prévue par la loi, ne peut s’appliquer car c’est uniquement la nature de l’usage qui détermine l’application de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, lequel ne mentionne nullement la source comme condition de son application, étant rappelé que la loi pénale est d’interprétation stricte.
4- sur les peines prononcées en appel : la Cour affirme faire preuve de mansuétude :
La cour tiendra compte des circonstances, notamment de ce qu’à l’époque des faits le public sous estimait le risque pénal, largement médiatisé depuis, de ce type de pratique.
Elle tiendra également compte de la personnalité du prévenu, honnête enseignant qui n’avait jamais attiré défavorablement l’attention sur lui, ainsi que des ressources financières limitées de l’intéressé.
En réalité, lorsque l'on compare les peines prononcées en première instance avec celles retenues en appel, on constate une aggravation :
* elle
confirme la peine d'amende de 3000 € avec sursis
* elle
rajoute une peine d'emprisonnement de 3 mois avec sursis
Elle condamnera en conséquence, à titre d’avertissement, M. Alain O. à la peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis.
* certes, elle
dispense la publication dans la presse de cet arrêt de condamnation,
La cour considère inutile d’ordonner la publication de sa décision, l’affaire ayant au demeurant fait l’objet d’une forte exposition médiatique lors de son évocation par le tribunal correctionnel de Pontoise.
* mais contrairement aux juges de Pontoise, elle refuse de dispenser cette condamnation d'une inscription au casier judiciaire.
Sur la demande d’exclusion de la condamnation prononcée du bulletin n°2 du casier judiciaire du prévenu.
Cette requête formée à l’audience n’est accompagnée d’aucun justificatif et sera en conséquence rejetée.
(le
bulletin numéro 2 est destiné à certaines autorités administratives pour des motifs limitativement énumérés (accès à un emploi public, à certaines professions, obtention d'une distinction honorifique par exemple).
5- Sur l'action civile (=indemnisation du préjudice des victimes) :
la Cour rejette les demandes de la SPPF et de la SCPP, pour les raisons que nous avons vus.
Mais elle confirme les dommages-intérêts alloués à la Sacem et à la Sdrm :
Sur les préjudices.
La cour estime, au vu des éléments dont elle dispose, que l’évaluation par les premiers juges des préjudices causés à la Sacem et la Sdrm par M. O., soit la somme de 3000 € pour chacune d’entre elle, est justifiée. Elle confirmera sur ce point la décision entreprise.
Sur les demandes formées au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale.
La cour estime équitable de condamner M. Alain O. à verser à la Sacem et à la Sdrm la somme de 500 € chacune au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale pour l’ensemble des procédures suivies en première instance et en cause d’appel.
Au final, l'addition est salée :
- peine de 3 mois de prison avec sursis
- peine de 3 000 € d'amende avec sursis
- indemnité de 2 fois 3 500 € à verser respectivement à la Sacem et à la Sdrm
- mention de cette condamnation au casier judiciaire
- confiscation des objets placés sous scellés au cours de l’enquête
edit : j'allais oublier : source de la décision
legalis.net