La réponse de Francois Bayrou
À l’attention de la Ligue ODEBI.
Paris, le 20 avril 2007, par courrier électronique.
Vous m’avez adressé onze questions, ou proposé onze affirmations, concernant les libertés sur internet. Vous savez sans doute la part que j’ai prise dans la défense de ces libertés dans la bataille sur la loi DADVSI, au Parlement en 2005 et 2006. Je suis donc heureux de vous confirmer mon engagement sur ces sujets.
Tout d’abord, le principe de liberté d’expression du citoyen doit passer avant tous intérêts économiques. Si des intérêts comme ceux de l’économie culturelle sont, par définition, à prendre en compte dans la régulation de la communication “au public”, via internet comme ailleurs, cela ne saurait faire obstacle à la liberté d’expression du citoyen. Dans la “Loi pour la confiance dans l’économie numérique”, les intérêts économiques sont suffisamment pris en compte par la disposition sur le respect de la propriété.
La réglementation récente de la diffusion d’images sur internet n’est que l’un des exemples de la prolifération législative de ces dernières années : la multiplication de dispositions larges, floues, certaines inapplicables, d’autres contradictoires, affaiblit au final la loi elle-même.
C’est à juste titre que la ligue ODEBI pose les questions que pose la combinaison nouvelle entre, d’un côté les usages d’internet par les citoyens pour s’exprimer et agir, d’autre part les moyens d’investigation électroniques : défis pour nos libertés, enjeux de protection de la vie privée, questions que pose la permanence des informations numériques alors que les personnes décrites par ces informations vivent, changent d’opinions ou de pratiques.
Il a été envisagé de créer une commission étatique, ou para-étatique, pour contrôler une déontologie de l’expression sur le net : c’est un projet un peu étrange, qui témoigne du désarroi actuel sur le rôle de l’Etat et les relations entre l’Etat et les citoyens ; elle montre surtout que nous avons besoin de mieux comprendre le rôle de l’Etat dans la société de l’information. Car l’appareil d’État, même piloté par des personnes démocratiquement nommées, même externalisé en commissions associant les intérêts légitimes d’un secteur, ne se préoccupera pas des droits des citoyens à la place des citoyens. Dans un monde - physique et numérique - en mouvement rapide et général, l’État ne trouvera pas les réponses à la place de la société. La création, l’invention, l’ouverture de voies nouvelles, nécessitent une société de l’autonomie. Le travail réalisé par le Forum des Droits sur Internet, appréciable et apprécié, témoigne de cette capacité d’autonomie.
D’ailleurs, à quoi servirait le label que délivrerait cette commission ? Les sites internet n’ont pas besoin de dispositions fiscales similaires à celles qui permettent à la presse papier d’acheminer et distribuer ses publications sur tout le territoire.
L’hébergeur d’un site peut constater, conformément au principe général selon lequel “nul n’est censé ignorer la loi”, la présence de contenus illégaux sur un site qu’il héberge ; il doit donc avoir la faculté de cesser sa contribution technique à la publication des contenus concernés. Mais il doit surtout avoir le droit, s’il doute du caractère légal ou illégal des contenus, de les maintenir en ligne, dans l’attente de la décision du juge qui serait saisi.
Le juge ne saurait en revanche, à mon avis, prescrire aux fournisseurs d’accès internet le filtrage de certains contenus ; serait-il raisonnable de réglementer dans ce sens, alors que certaines techniques de cryptage peuvent empêcher le fournisseur d’accès de connaître la nature du contenu auquel accède l’internaute ?
Le pouvoir de police doit rester, sur internet comme ailleurs, du ressort de la force publique. Quand, fin décembre 2005, un amendement de dernière minute au projet de loi DADVSI, a prétendu instaurer une “réponse graduée” ou “riposte graduée” qui confiait à des entreprises privées un premier niveau de surveillance et de police de l’internet (donc un droit d’intrusion dans les échanges de fichiers), je me suis battu à l’Assemblée, avec succès, pour faire échouer ce projet.
Des dispositions d’exception, qui confieraient à la police une autorité qui appartient normalement au juge, peuvent légitimement être prises à titre provisoire, en raison d’une menace singulière sur la vie de la nation ; c’est, par exemple, ce qui a été fait le 6 octobre 2001 par les amendements sur la “loi pour la sécurité quotidienne” (LSQ). Elles doivent rester l’exception, et la permanence d’une menace terroriste ne suffit pas à justifier qu’elles soient pérennisées.
Vous m’interrogez sur la copie privée et l’interopérabilité. Pour moi, la copie privée, pour un usage personnel, familial ou amical, doit être reconnue comme un droit pour le consommateur, pour le citoyen - et non pas seulement comme une “exception”. Affirmer les droits d’auteur et les droits voisins légitime une indemnisation de cette copie privée.
Que le législateur autorise un producteur d’équipements matériels ou d’oeuvres immatérielles à les assortir de certaines restrictions techniques d’usage clairement indiquées à l’acheteur, c’est une chose ; légiférer pour interdire le contournement de ces restrictions, c’en est une autre.
Pour moi, un usager qui acquiert des oeuvres auprès de différents fournisseurs doit avoir la possibilité de les utiliser sur différents équipements, de changer ses équipements, matériels ou logiciels sans être obligé de racheter les oeuvres. La législation ne peut pénaliser le contournement de mesures techniques de protection lorsque ce contournement a pour finalité une utilisation licite : lire une oeuvre achetée ou prêtée, effectuer des copies privées, assurer la sécurité informatique, par exemple. La loi devrait pénaliser les usages illicites, plutôt que d’incriminer les outils ou les techniques que certains utiliseraient à des fins illicites.
J’ai d’ailleurs dit à l’Assemblée, le 16 mars 2006, mon scepticisme quant à la mise en pratique de cette interdiction, quant à “l’idée bien étrange de construire une usine à gaz, avec des services de l’État qui, tels des pseudopodes, iraient partout contrôler la totalité des codes sources, des DRM transmis, importés ou transférés depuis un État membre de la Communauté européenne : nous ne la croyons guère réalisable.”
Le droit concernant les productions de l’esprit devra, selon moi :
• conforter les droits moraux des créateurs ;
• assurer aux activités culturelles un financement lié aux oeuvres ;
• favoriser la préservation de notre patrimoine culturel ;
• assurer l’égal accès aux ressources qui méritent d’être considérées comme des biens communs (dont des ressources pour l’éducation et la santé, entre autres) ;
• assurer au légitime détenteur d’un bien numérique, le libre usage de celui-ci dans le cercle privé, et sa libre préservation par des copies de sauvegarde.
Je vous prie de trouver ici l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
François Bayrou
Plus que 2 singes
-----------------------------------Réponse du PCF au questionnaire Internet et LibertésNous venons de recevoir les réponses du PCF au bilan/questionnaire , qui -c’est un fait à souligner- s’est toujours tenu aux côtés des organisations de défense des libertés numériques, dès l’époque de la LCEN, effectuant par ailleurs un travail parlementaire constant, face aux dérives liberticides de la majorité sortante :
RFID, biométrie, vidéosurveillance, DRM… Au travail, chez soi, dans la cité, comme consommateur, dans son ordinateur, les technologies numériques font de plus en plus irruption au profit d’une surveillance permanente de nos faits, gestes, écrits ou paroles.
Sans véritable cadre législatif pour les encadrer, des mesures techniques étendues se mettent en place loin du débat citoyen. Cette frénésie encore accélérée depuis le 11 septembre sert directement les multinationales de la production et de la diffusion de loisirs.
Qui ne serait pas d’accord avec l’objectif de protection des mineurs contre les contenus pornographiques ou violents ? Toutefois cette lutte peut elle relever, non plus des parents ou des éducateurs, mais d’entreprises privées ou d’une “commission nationale de déontologie” non élue chargée de distribuer les bons et les mauvais points ? Cet exil de l’action collective ouvre la porte à la justice privée.
Comment remettre les technologies au service des citoyens et lutter contre ce délire marketting et sécuritaire ? En quoi le Logiciel Libre et les formats ouverts et interopérables sont des réponses à la surveillance intrusive ?
A. B , C, D et E
le PCF a pris position contre la justice privée dès le débat sur la Loi Fontaine (LCEN) en affirmant clairement que la justice devait rester le fait du seul juge, et la police des forces de police. L’accès en particulier au log de connexion ne peut se faire que suite à une décision de justice : attention à l’appel à la censure par précaution adressé au FAI !
En réalité, derrière la protection des mineurs on voit surtout les intérêts du marché des loisirs. Ce sont en effet indirectement les multinationales de la production et de la diffusion qui vont décider non pas de ce qui est “illégal” mais de ce qui (leur) est “préjudiciable”. En fait de protection de l’enfance le gouvernement tente de légaliser les pratiques intrusives des marchands de services - le tout sans inquiéter ni les pornographes ni les pollueurs du Net.
Bien sûr, des dispositifs de contrôle (notamment des contenus pornographiques) pourraient et devraient être mis en place : une étude médiamétrie sur laquelle s’appuie la DUI montre que 83 % des parents n’ont pas de service de protection. Mais l’étude en montre aussi les raisons : des logiciels trop chers, trop compliqués à installer, peu connus. Pourquoi dès lors agir seulement au niveau des fournisseurs d’accès ? Pourquoi ne pas développer un logiciel libre et gratuit, simple d’emploi et n’agissant que sur les contenus « évidemment » illicites, définis par une instance de concertation regroupant les professionnels, les familles, les instances de l’État ?
Au lieu de cela, on laisse le secteur privé décider en imposant un filtrage systématique amenant à des effets de bords catastrophiques : pour un site filtré (qui pourrait au demeurant être déplacé en quelques secondes par ses éditeurs étrangers, et ce autant de fois que nécessaire) des milliers de sites parfaitement légaux deviendraient inaccessibles, portant atteinte à la liberté d’information des internautes français.
Inefficace, le filtrage par défaut est également cher. Le délégué général de l’Association des fournisseurs d’accès et de services Internet (AFA), qui parle d’un « sentiment illusoire de sécurité », note qu’imposer ces mesures aura un coût pour les fournisseurs d’accès, et mènerait inévitablement à une augmentation de 30 à 50 % du prix des abonnements. On ne voit pourtant pas pourquoi les internautes français devraient payer pour des contenus illicites publiés dans des pays étrangers. En réalité, derrière le faux nez de la protection des mineurs pointe surtout la gueule du marché des loisirs.
Ce sont en effet indirectement les multinationales de la production et de la diffusion de loisirs qui vont décider progressivement non pas de ce qui est « illégal » mais de ce qui (leur) est « préjudiciable » (sic). Le gouvernement se prête ainsi à la mise en place du contrôle des droits numériques (Digital Right Management, voir l’Humanité des 27 février 2003 et 28 août 2003). Cette politique de contrôle visant à verrouiller la production et l’accès à toute l’information s’appuie sur des dispositifs techniques et législatifs de plus en plus contraignants, et des lois de plus en plus répressives. Ainsi, là où la violence sur mineur est passible d’une amende de 45 000 euros, le téléchargement de contenus « préjudiciables » pourrait être passible de six fois plus, allant jusqu’à 300 000 euros. Est-ce l’intérêt des mineurs ou celui des majors que l’on protège ?
F et G
Concernant les droits d’auteur, nous pensons que répondre par la “punition” à ceux qui contournent un système obsolète et désavantageux pour tous n’est pas une solution : c’est ce système qu’il faut changer, pour aller vers une universalisation de la culture et des savoirs. La loi sur la réforme du droit d’auteur (DADVSI), discutée à la hâte et dans la confusion, a mécontenté tout le monde. Artistes qui continuent, sauf quelques stars, à se partager les miettes laissées par l’industrie du disque, public contraint à payer un prix artificiellement élevé pour des biens culturels artificiellement raréfiés, internautes stigmatisés. Seules les multinationales des loisirs et des logiciels propriétaires ont obtenus gain de cause.
Traiter sérieusement la question de la rétribution des ayant droits et des modes de diffusions, en premier lieu du téléchargement, passe donc d’abord par une abrogation de DADVSI, de toute façon dépassée en droit (révision de la directive européenne EUCD) et dans les faits (abandon des DRM par les majors). Le statu-quo ne peut pas être une solution, pas d’avantage que l’illusion de la répression. La loi DADVSI sera abrogé.Les DRM seront encadrées et limitées. Il faut revenir sur les logiciels dits “illicites”.
H.
Frédéric Dutoit, député communiste, s’est battu pour exonérer les acteurs de santé français, comme les hôpitaux, de la taxe pour copie privée. Nul ne peut prétendre qu’il soit légitime de taxer des supports qui servent indéniablement au stockage de données purement médicales.
Plus généralement, il faut financer l’accès aux biens culturels en mettant à contribution les profits privés. Une plate forme publique de téléchargement permettra la mise à disposition de créations librement téléchargables et la rémunération des créateurs par une mise à contribution des profits privés du secteur.
I. J.
L’ordre moral de la droite dure pointe ses crocs avec la mise en place de la “Commission nationale de déontologie”, non élue, chargée de distribuer les bons et mauvais points aux acteurs de l’internet à partir de recommandations qu’elle aura elle même édictées, de labéliser les “bons” et les “mauvais” sites internet. Il faut abroger ce nouvel index. La presse d’opinion est déjà suffisament menacée par les concentration monopolistiques d’un secteur tout dévoué à la pensée unique ultralibérale.
K.
Nous soutenons les médias participatifs et les défenseurs des droits humains, et notamment Reporters sans frontière et Wikimédia france, qui voit à juste titre que cette Loi introduit une distinction dangereuse entre les journalistes professionnels, autorisés à diffuser des imagesde violences, et les simples citoyens, qui risquent la prison pour les mêmes faits. Il est particulièrement regrettable que ce texte instaure une interdiction de faire circuler sur Internet les images d’éventuelles exactions commises par les forces de l’ordre.
Compléments
La France doit donc ratifier la convention sur la cyber criminalité, mais en tenant compte de l’expérience des lois LSI, LCEN, LSQ, etc… qui sous couvert de lutte contre la cybercriminalité fait la part belle aux intérêts de surveillance et de tracabilité des marchands. Il existe d’excellentes lois en France sur la protection de la correspondance postale, sur l’informatique et la liberté, la protection des personnes et de leur vie privée, sur les droits - y compris moraux - des auteurs sur leurs œuvres, contre la diffusion de propagandes racistes ou négationniste (loi Gayssot), et bien sur contre la traite et la prostitution. Reste à dégager, pour la justice et ses auxiliaires, les moyens, y compris sur le Net, de la mise en œuvre de ces
différentes lois.
Nous rappelons notamment que le Groupe communiste a déposé en 2003 une loi contre le trafic d’être humain et la traite à l’Assemblée nationale, qui na jamais été votée par la droite au pouvoir. Que l’on commence par lutter contre les réseaux de trafic et de prostitution, y compris enfantine, avant de rendre internet responsable des désordres du monde capitalistes, au prix des droits et liberté de chacun-e.
Pour l’équipe de la campagne en ligne,
Jérôme Relinger