Décembre nous a offert le spectacle peu courant d'une poignée de députés muant le parlement, d'ordinaire simple chambre d'enregistrement, en un vrai lieu de décision et de remise en question. D'accord pour payer ma musique, je ne suis pas séduit par la licence globale optionnelle, mais elle aurait le mérite d'être « moins pire » que la solution du ministre. Que nous réserve Mars ?
Outre l'enterrement aujourd'hui même des amendements sacrilèges de décembre, et sans entrer dans le détail de la nouvelle mouture, tous les observateurs dégagent la même ligne directrice : les sanctions se détournent de l'auteur du téléchargement frauduleux pour se focaliser sur les concepteurs et éditeurs du logiciel permettant le transfert (l'amendement « Vivendi », lui, est ressuscité).
Une réponse étrange à une question sans doute vieille comme l'humanité : la plupart des outils sont potentiellement moyen de délit ou arme de crime. Il n'était cependant venu à personne l'idée saugrenue de sanctionner le fabriquant d'un chandelier pour la simple raison que celui-ci pourrait servir à démolir le crâne de l'amant(e) infidèle. Tout au plus limitait-on parfois l'usage ou la détention d'outils dans des cas bien particuliers : soit que celui-ci est manifestement et principalement destiné à faire des trous désobligeants dans son voisin (armes à feu), soit que la situation du détenteur fait craindre que n'importe quel objet soit détourné à des fins violentes sur lui-même ou ses voisins (lacets, ceinture, cuiller … pour un détenu).
Pour ceux qu'on nomme abusivement les "pirates" (ils commettent une infraction, c'est indéniable, mais l'acte de piratage a une signification juridique précise et autrement plus lourde), les peines encourues jusqu'alors étaient largement disproportionnées et l'expérience a montré qu'elles étaient rarement appliquées et peu dissuasives. De leur coté, ceux qu'on apelle les "artistes" (le mot me heurte quand j'entends certains d'entre eux) ont alors étalé leur générosité et leur désintéressement d'anticonformistes révoltés en signant des pétition pour que cesse la chasse aux-dits pirates.
Que s'est-il passé depuis ? Il faut bien manger, ma bonne dame ! Et ces mêmes crève-la-dalle du top 50 - sûrement de leur propre initiative et sans aucune pression des majors - montent à présent au créneau pour acclamer une loi qui encadre, contrôle, limite, trace, déeremise leur oeuvre jadis subversive ...
Essuyons une larme et voyons maintenant ce qu'on nous propose.
Le débat citoyen : ah, oui ! Le pitoyable site du consortium gouvernement/SACEM/SACD parle de lui-même ! Une seule remarque : le libre (Dotclear) revient en effet très cher (180 000 € rien que pour la part du gouvernement, c'est à dire nos portefeuilles). «Get the facts», comme aime à dire ce vieux Bill.
L'offre "légale" : … il suffit d'acheter une licence Windows, de naviguer IE, d'investir dans de nouveaux lecteurs de CDs et de DVDs homologués et dans trois ou quatre baladeurs différents pour n'être jamais - ou pas trop souvent - empêché d'acheter ce qu'on veut ou d'écouter ce qu'on aura légalement acquis.
Le catalogue ? Tous les derniers succès du box-office ; au diable les vieilleries et les artistes moins connus ! L'oeuvre culturelle est aujourd'hui éphémère et standardisée (elle, au moins !).
L'interropérabilité ? Elle est garantie par la loi, à des conditions de délai et de coût laissées au bon vouloir d'éditeurs dont l'humanisme ne fait aucun doute pour notre ministre.
Je survivrai, même privé de Nolwen, Johnny ou d'autres (notez que je n'ai rien contre eux, tant que je ne les entends pas). Et j'ai confiance dans l'imagination humaine pour que des solutions alternatives permettent à brève échéance de contourner ces limitations mesquines.
A quoi bon alors ? Est-il réellement urgent de conformer dans la précipitation notre droit à une directive européenne obsolète (les grandes lignes datent de … 1996) ? La France est en retard, mais la Commission aussi, qui n'a jamais publié un rapport d'étape promis pour 2004 : tant de problèmes ont été mis en évidence dans les pays qui ont appliqué cette directive (et chez nos précurseurs-inspirateurs étasuniens), qu'une réécriture de celle-ci est déjà programmée. Notre auguste assemblée va donc, en procédure d'urgence et sans réelle concertation, pondre une loi tarte et inapplicable pour se conformer à une directive dont la rigidité est devenue pré-cadavérique.
Gardons un frêle espoir ; le débat parlementaire peut encore nous réserver de bonnes surprises. Mais dans ce débat pipé, détourné par le ministre et les medias au profit de la seule question du téléchargement des derniers succès du hit-parade, les vrais enjeux seront-ils abordés ?
Quid d'une réelle interropérabilité ? Quels risques prendront les auteurs et éditeurs de logiciels libres, et à quoi ressembleront ces derniers ? Comment transiteront les nombreux fichiers voyageant légalement aujourd'hui par les réseaux P2P (les prochaines versions de Mandriva) ? Comment s'adapteront (autrement que par un classique grand-écart) l'Etat français -qui utilise de plus en plus les logiciels libres- et Vivendi -qui diffuse ses mises-à-jour de jeux par les réseaux P2P- ? Que font Vivendi, la SACEM et les autres dans le temple de la représentation démocratique ?
Et surtout, M. Renaud Donnedieu de Vabres laissera-t-il une trace dans l'histoire ?
Je crains pour lui que non : il ne suffit pas d'adopter une mesure rétrograde, inopérante et néfaste ; il faut aussi porter un nom simple et facile à retenir.
M. Maginot l'avait compris, lui !
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publié le 7 mars 2006 sur le blog Mandriva
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