réf : http://www.musique-libre.org/article.php?sid=321
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Mesdames, Messieurs les députés,
vous voici "en charge d'une assez vilaine affaire", pour citer l'exorde de M. Michel Rocard dans son Discours à la réunion de la commission parlementaire aux affaires juridiques du Parlement européen (JURI), le 2 février 2005, s'agissant des brevets logiciels.
Le projet de loi DADVSI, nº1206, transposition française de la directive EUCD, dont vous connaissez la généalogie troublée, est soumis aujourd'hui et demain 20 et 21 décembre 2005 à votre discussion et à votre vote, selon une procédure d'urgence dont le bien fondé réel et la pertinence démocratique sont fort contestables et contestés.
Nous vous appelons à le repousser. L'amender très sérieusement serait une solution a minima, que nous croyons insuffisante.
Nous n'allons pas vous redérouler la liste de tous les arguments en défaveur des DRM ou MPT (Mesures de Protection Technique) que ce projet veut mettre en place et protéger juridiquement : ce faisant, en l'état de rédaction du projet, vous entérineriez l'abdication du droit au profit d'un système technique maîtrisé par des industriels évidemment partisans, dont on peut légitimement craindre qu'ils abusent de cette prérogative par nature trop grave et trop lourde pour eux.
Nous n'allons pas vous ressasser les arguments qui vous ont déjà été soumis de nombreuses fois pour rétablir des vérités techniques, économiques, culturelles, sociologiques et industrielles contredites sans vergogne par ces mêmes industriels et leurs organismes, sur le P2P.
Nous attirons solennellement votre attention sur le contexte général dans lequel ce projet de loi DADVSI s'inscrit, et qui vous illustrera très clairement sa nocivité à court comme à long terme, ainsi que votre responsabilité personnelle.
Deux textes pour cela, le premier de M. Philippe Aigrain, tiré de son livre Cause commune : l'information entre bien commun et propriété (Fayard, Paris, 2005) pp.31 & 32 :
"Ces industries de la propriété informationnelle paraissent très différentes les unes des autres, puisqu’elles peuvent produire des semences agricoles tout comme des logiciels, des films ou des émissions télévisées tout comme des médicaments biotechnologiques, ou même distribuer des biens physiques comme les vêtements, auxquels s’ajoute un « surplus informationnel » à travers les marques.
Mais elles ont en commun de s’être fait décerner des monopoles pour une activité très peu coûteuse bien qu’étant essentielle : la reproduction de l’information contenue dans leurs produits. Comme ces monopoles sont fragiles, puisqu’il est souvent difficile de contrôler leur application, elles les complètent par le contrôle des canaux de production et de distribution, par des mesures de police et de surveillance. Ces mêmes acteurs industriels tentent d’imposer des modèles de consommation synchronisée de leurs produits par une promotion effrénée, toujours plus envahissante dans l’espace public et la vie privée.
Tout cela ne serait qu’anecdote si ces acteurs pouvaient espérer imposer leur modèle sans détruire le précieux potentiel de la révolution informationnelle. Car, en parallèle avec la folie de la propriété, un nouveau continent apparaît : celui des biens communs informationnels, des créations qui appartiennent à tous parce qu’elles n’appartiennent à personne. Ce continent est celui des logiciels libres, de la science ouverte, des encyclopédies libres, de nouvelles formes artistiques, des médias coopératifs où chacun contribue à créer l’information et à la commenter. C’est le continent du partage et de la démultiplication des connaissances, mais aussi celui de la coopération politique mondiale des acteurs sociétaux préoccupés d’intérêt général. Comme lors de tout changement aussi radical, les nouvelles capacités sont immatures, fragiles, susceptibles d’être perverties ou détournées de leur potentiel. Elles réclament toute notre attention, et ne montreront leur plein potentiel que dans la durée. Mais dès à présent leurs
réalisations esquissent de nouvelles sociétés de l’abondance, économes de leurs ressources physiques, mais riches de toute la créativité des êtres humains. Que peut alors le commerce de la rareté au milieu de la création de l’abondance ?
Que peut la promotion à un instant donné de 40 titres musicaux au milieu de l’accessibilité de centaines de milliers de créations ? Que peut la propriété au milieu de biens communs qui prennent plus de valeur chaque fois qu’un nouvel être humain se les approprie ? Les colosses aux pieds d’argile qui vivent de la capitalisation de la propriété intellectuelle ne peuvent tolérer cette concurrence des biens communs. Ils ont entrepris de tout assécher autour d’eux. Alors qu’ils ne représentent qu’une petite part de l’économie, et une bien plus petite encore de l’univers social et humain, ils entendent qu’on transforme le reste en désert, ou tout au moins en ghetto toujours rétréci, en exception que leurs idéologues décrivent comme anomalie."
cf. http://www.causecommune.org/ ; texte : http://grit-transversales.org/IMG/pdf/C ... -NC-ND.pdf
M. le Président Jacques Chirac, évoquant ces derniers jours les limites du libéralisme, affirmait avec éloquence des choses fort semblables.
Le deuxième, de M. Bernard Stiegler, tiré de son livre Mécréance et discrédit - 1. La décadence des démocraties industrielles (Galilée, Paris, 2004) :
- p. 48 : "Il y a catastrophè en contexte de décadence politique des démocraties capitalistes au sens où un nouveau modèle industriel, et du même coup culturel, et donc politique, doit être conçu et instauré, tel qu'il ne peut se constituer qu'à un niveau continental, celui de l'Europe, comme une pensée entièrement nouvelle du capitalisme devenu culturel, au plan mondial, où la culture, réduite à sa fonction de socialisation de la production par la standardisation des comportements de consommation, est devenue, pour ce capitalisme typique des sociétés de contrôle, l'agent par excellence de ce contrôle. Or (..) ce contrôle est une exploitation de l'énergie libidinale qui épuise cette énergie, et c'est en cela que le modèle industriel issu de la modernité du XXe siècle atteint sa limite."
- et p. 34 : "Il s'agit (..) d'inventer un nouvel agencement, et de constituer un nouveau modèle de développement industriel tout autant que de pratiques culturelles (et de pratiques irréductibles à de simples usages), précisément au moment où la culture, ou plutôt le contrôle de la culture est devenu le coeur du développement, mais ce, au prix d'un devenir-grégaire qui est aussi un devenir inculte généralisé, et qui ne peut qu'entraîner mécréance et discrédit politiques.
Il s'agit, autrement dit, de reconstruire une économie libidinale (une philia) sans laquelle il n'y a ni cité, ni démocratie, ni économie industrielle, ni économie spirituelle possibles."
Le projet de loi DADVSI fait l'unanimité contre elle, fors les industriels et leurs affidés.
La pétition lancée par eucd.info compte à l'heure où sont écrites ces lignes, 116000 signatures personnelles et 780 signatures d'associations, organisations, entreprises, syndicats et collectifs. cf. http://eucd.info/petitions/index.php?petition=2
L'interassociation archivistes bibliothécaires documentalistes vous presse également de refuser ce projet. cf. http://droitauteur.levillage.org/spip/
Le Syndicat national des Journalistes vous crie : "Attention !" cf. http://www.snj.fr/communiques/2003-2005 ... _1205.html
La Conférence des Présidents d'Universités également a pris position contre la loi. dans une Motion relative à la transposition de la directive sur le droit d'auteur. cf. http://www.cpu.fr/ActU/Actu.asp?Id=1011&Inst=CPU
Le président de l'Union syndicale des magistrats, M. Dominique Barella, a été fort clair sur ces questions dans une tribune fameuse en date du 14 mars 2005. cf. http://www.a-brest.net/article1332.html
Ces représentants de la société civile expriment une conviction et un souci de l'intérêt général que les citoyens attendent également de leurs représentants.
Le front ainsi constitué est extrêmement large : la raison en est fort simple. Les conséquences anticoncurrentielles et antidémocratiques des dispositions de cette loi toucheraient tout le monde, y compris vous.
Il semblerait que M. le Ministre de la Culture eût choisi son camp... La manière dont le dossier lui a été présenté et l'insistance prolongée de groupes d'intérêts, ne sont certainement pas étrangers à la détermination malheureuse que celui-ci affiche.
La responsabilité qui vous incombe, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, Mesdames, Messieurs les Députés, est grave. Il arrive au cours de certaines mandatures de voter des lois historiques : c'est le cas aujourd'hui, pour vous. Nous attendons de vous que vous ne déceviez pas.
Vous remerciant de votre attention, veuillez croire, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, Mesdames, Messieurs les Députés, à l'expression de notre très haute considération.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Mesdames, Messieurs les députés,
vous voici "en charge d'une assez vilaine affaire", pour citer l'exorde de M. Michel Rocard dans son Discours à la réunion de la commission parlementaire aux affaires juridiques du Parlement européen (JURI), le 2 février 2005, s'agissant des brevets logiciels.
Le projet de loi DADVSI, nº1206, transposition française de la directive EUCD, dont vous connaissez la généalogie troublée, est soumis aujourd'hui et demain 20 et 21 décembre 2005 à votre discussion et à votre vote, selon une procédure d'urgence dont le bien fondé réel et la pertinence démocratique sont fort contestables et contestés.
Nous vous appelons à le repousser. L'amender très sérieusement serait une solution a minima, que nous croyons insuffisante.
Nous n'allons pas vous redérouler la liste de tous les arguments en défaveur des DRM ou MPT (Mesures de Protection Technique) que ce projet veut mettre en place et protéger juridiquement : ce faisant, en l'état de rédaction du projet, vous entérineriez l'abdication du droit au profit d'un système technique maîtrisé par des industriels évidemment partisans, dont on peut légitimement craindre qu'ils abusent de cette prérogative par nature trop grave et trop lourde pour eux.
Nous n'allons pas vous ressasser les arguments qui vous ont déjà été soumis de nombreuses fois pour rétablir des vérités techniques, économiques, culturelles, sociologiques et industrielles contredites sans vergogne par ces mêmes industriels et leurs organismes, sur le P2P.
Nous attirons solennellement votre attention sur le contexte général dans lequel ce projet de loi DADVSI s'inscrit, et qui vous illustrera très clairement sa nocivité à court comme à long terme, ainsi que votre responsabilité personnelle.
Deux textes pour cela, le premier de M. Philippe Aigrain, tiré de son livre Cause commune : l'information entre bien commun et propriété (Fayard, Paris, 2005) pp.31 & 32 :
"Ces industries de la propriété informationnelle paraissent très différentes les unes des autres, puisqu’elles peuvent produire des semences agricoles tout comme des logiciels, des films ou des émissions télévisées tout comme des médicaments biotechnologiques, ou même distribuer des biens physiques comme les vêtements, auxquels s’ajoute un « surplus informationnel » à travers les marques.
Mais elles ont en commun de s’être fait décerner des monopoles pour une activité très peu coûteuse bien qu’étant essentielle : la reproduction de l’information contenue dans leurs produits. Comme ces monopoles sont fragiles, puisqu’il est souvent difficile de contrôler leur application, elles les complètent par le contrôle des canaux de production et de distribution, par des mesures de police et de surveillance. Ces mêmes acteurs industriels tentent d’imposer des modèles de consommation synchronisée de leurs produits par une promotion effrénée, toujours plus envahissante dans l’espace public et la vie privée.
Tout cela ne serait qu’anecdote si ces acteurs pouvaient espérer imposer leur modèle sans détruire le précieux potentiel de la révolution informationnelle. Car, en parallèle avec la folie de la propriété, un nouveau continent apparaît : celui des biens communs informationnels, des créations qui appartiennent à tous parce qu’elles n’appartiennent à personne. Ce continent est celui des logiciels libres, de la science ouverte, des encyclopédies libres, de nouvelles formes artistiques, des médias coopératifs où chacun contribue à créer l’information et à la commenter. C’est le continent du partage et de la démultiplication des connaissances, mais aussi celui de la coopération politique mondiale des acteurs sociétaux préoccupés d’intérêt général. Comme lors de tout changement aussi radical, les nouvelles capacités sont immatures, fragiles, susceptibles d’être perverties ou détournées de leur potentiel. Elles réclament toute notre attention, et ne montreront leur plein potentiel que dans la durée. Mais dès à présent leurs
réalisations esquissent de nouvelles sociétés de l’abondance, économes de leurs ressources physiques, mais riches de toute la créativité des êtres humains. Que peut alors le commerce de la rareté au milieu de la création de l’abondance ?
Que peut la promotion à un instant donné de 40 titres musicaux au milieu de l’accessibilité de centaines de milliers de créations ? Que peut la propriété au milieu de biens communs qui prennent plus de valeur chaque fois qu’un nouvel être humain se les approprie ? Les colosses aux pieds d’argile qui vivent de la capitalisation de la propriété intellectuelle ne peuvent tolérer cette concurrence des biens communs. Ils ont entrepris de tout assécher autour d’eux. Alors qu’ils ne représentent qu’une petite part de l’économie, et une bien plus petite encore de l’univers social et humain, ils entendent qu’on transforme le reste en désert, ou tout au moins en ghetto toujours rétréci, en exception que leurs idéologues décrivent comme anomalie."
cf. http://www.causecommune.org/ ; texte : http://grit-transversales.org/IMG/pdf/C ... -NC-ND.pdf
M. le Président Jacques Chirac, évoquant ces derniers jours les limites du libéralisme, affirmait avec éloquence des choses fort semblables.
Le deuxième, de M. Bernard Stiegler, tiré de son livre Mécréance et discrédit - 1. La décadence des démocraties industrielles (Galilée, Paris, 2004) :
- p. 48 : "Il y a catastrophè en contexte de décadence politique des démocraties capitalistes au sens où un nouveau modèle industriel, et du même coup culturel, et donc politique, doit être conçu et instauré, tel qu'il ne peut se constituer qu'à un niveau continental, celui de l'Europe, comme une pensée entièrement nouvelle du capitalisme devenu culturel, au plan mondial, où la culture, réduite à sa fonction de socialisation de la production par la standardisation des comportements de consommation, est devenue, pour ce capitalisme typique des sociétés de contrôle, l'agent par excellence de ce contrôle. Or (..) ce contrôle est une exploitation de l'énergie libidinale qui épuise cette énergie, et c'est en cela que le modèle industriel issu de la modernité du XXe siècle atteint sa limite."
- et p. 34 : "Il s'agit (..) d'inventer un nouvel agencement, et de constituer un nouveau modèle de développement industriel tout autant que de pratiques culturelles (et de pratiques irréductibles à de simples usages), précisément au moment où la culture, ou plutôt le contrôle de la culture est devenu le coeur du développement, mais ce, au prix d'un devenir-grégaire qui est aussi un devenir inculte généralisé, et qui ne peut qu'entraîner mécréance et discrédit politiques.
Il s'agit, autrement dit, de reconstruire une économie libidinale (une philia) sans laquelle il n'y a ni cité, ni démocratie, ni économie industrielle, ni économie spirituelle possibles."
Le projet de loi DADVSI fait l'unanimité contre elle, fors les industriels et leurs affidés.
La pétition lancée par eucd.info compte à l'heure où sont écrites ces lignes, 116000 signatures personnelles et 780 signatures d'associations, organisations, entreprises, syndicats et collectifs. cf. http://eucd.info/petitions/index.php?petition=2
L'interassociation archivistes bibliothécaires documentalistes vous presse également de refuser ce projet. cf. http://droitauteur.levillage.org/spip/
Le Syndicat national des Journalistes vous crie : "Attention !" cf. http://www.snj.fr/communiques/2003-2005 ... _1205.html
La Conférence des Présidents d'Universités également a pris position contre la loi. dans une Motion relative à la transposition de la directive sur le droit d'auteur. cf. http://www.cpu.fr/ActU/Actu.asp?Id=1011&Inst=CPU
Le président de l'Union syndicale des magistrats, M. Dominique Barella, a été fort clair sur ces questions dans une tribune fameuse en date du 14 mars 2005. cf. http://www.a-brest.net/article1332.html
Ces représentants de la société civile expriment une conviction et un souci de l'intérêt général que les citoyens attendent également de leurs représentants.
Le front ainsi constitué est extrêmement large : la raison en est fort simple. Les conséquences anticoncurrentielles et antidémocratiques des dispositions de cette loi toucheraient tout le monde, y compris vous.
Il semblerait que M. le Ministre de la Culture eût choisi son camp... La manière dont le dossier lui a été présenté et l'insistance prolongée de groupes d'intérêts, ne sont certainement pas étrangers à la détermination malheureuse que celui-ci affiche.
La responsabilité qui vous incombe, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, Mesdames, Messieurs les Députés, est grave. Il arrive au cours de certaines mandatures de voter des lois historiques : c'est le cas aujourd'hui, pour vous. Nous attendons de vous que vous ne déceviez pas.
Vous remerciant de votre attention, veuillez croire, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, Mesdames, Messieurs les Députés, à l'expression de notre très haute considération.
bituur esztreym _ http://www.dogmazic.net/ _ http://libreacces.org/ _ c]
"la terminologie est une question de goût, elle ne touche pas aux réalités" _ Hjelmslev
"la terminologie est une question de goût, elle ne touche pas aux réalités" _ Hjelmslev
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bituur esztreym
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