I - Joyeux anniversaire.
Il y a 20 ans, Francis Bouygues, à la tête d'un groupe de BTP (dépendant donc de la commande publique), mettait la main sur TF1 à l'occasion de sa privatisation par le Gouvernement.
[url=http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3236,36-912327@51-912406,0.html]La grande et la petite histoire de TF1 revisitées avec sérieux et ironieLa privatisation de TF1 marque ainsi une étape supplémentaire dans cette grande redistribution des cartes. Plusieurs acteurs majeurs de cette période témoignent aujourd'hui des conditions dans lesquelles la "Une" est passée dans le giron privé. Au micro de Corinne Audouin, Catherine Tasca, ex-membre de la Commission nationale de la communication et des libertés (la CNCL, ancêtre du CSA), nommée par le président François Mitterrand, se souvient ainsi du lobbying actif de Francis Bouygues pour mettre la main sur TF1. "Il m'a même proposé du travail", explique Mme Tasca.
LE MONDE | 19.05.07 [/url]
Les 20 ans qui suivirent furent 20 belles années de conflits d'intérêts et de manipulation de l'information au service du groupe Bouygues, capable de rendre des services médiatiques aux partis et hommes politiques qui ne manqueront pas de lui être reconnaissant le jour venu (celui d'attribuer les commandes publiques, de vendre les parts de l'Etat dans les grandes entreprises françaises ou de favoriser des mariages entre grand groupes).
Durant la campagne pour l'élection présidentielle de 2007, François Bayrou, candidat, s'est élevé contre ce mélange des genres honteux et dommageable pour notre démocratie, promettant s'il était élu, d'y mettre un terme.
L'UDF avait d'ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens.
Bien sûr, outre le formidable moyen de pression dont Bouygues dispose sur le Politique avec TF1, il faut également mentionner les amitiés que celui-ci entretien avec Nicolas Sarkozy, depuis peu Président de notre belle République.
Cette collusion n'étonne personne et fait même partie quotidienne de notre actualité ! Ainsi, Le Journal des Finances indiquait-il par exemple dans son édition du 24/11/06 :
BOUYGUES : quelques dégagements sur le titre.
L'action Bougues s'est quelque peu reprise, mardi et mercredi, mais elle reste sur une tendance négative, après les dégagements intervenus vendredi 17 et lundi 20 novembre.
Il est vrai que l'intérêt d'Iliad pour la 4è licence de téléphonie mobile de 3è génération fait peser un risque sur la valorisation de Bouygues Telecom, qui pourrait ne plus intéresser un éventuel acquéreur si un nouvel entrant apparaissait sur le marché français.
La filiale de téléphonie de Bouygues serait en tout cas l'opérateur le plus fragile face à cette nouvelle concurrence.
Le conglomérat a peut être également souffert de l'investiture de Ségolène Royal comme candidate du PS à l'élection présidentielle.
Elle appairait en effet comme la seule en mesure de barrer la route de Nicolas Sarkozy, proche de Martin Bouygues, dont l'accession à la magisterature suprême semble une condition sine qua none pour que Bouygues mette un jour la main sur Areva.
Rappelons qu'Areva est un groupe industriel français spécialisé dans les métiers de l'énergie, dont l'Etat français est actionnaire et a plus que son mot à dire sur son développement. Que Bouygues, intéressé pour se diversifier dans l'énergie, a pris une participation importante dans Alstom en rachetant la part que l'Etat détenait (21% du capital tout de même), et que Bouygues souhaite un rapprochement entre Areva et Alstom...
On pourra aussi lire cet article du Moinde : Areva, EADS, Gaz de France en attente de décisions politiques
Bref, tout cela semble très sain a priori, n'est-ce pas ?
II - Oh oui, lobbye moi bien profondément.
A côté de cet amalgame unique entre les grands groupes industriels vivant de la commande publique et les médias, propre à la France, il faut encore citer une autre particularité française : l'absence de réglementation du lobbying, alors qu'il ne serait pas bien difficile de s'inpirer des règles en vigueur au sein des institutions européennes et qui doivent bien avoir une raison d'être, tout de même.
Car officiellement, la France ne reconnaît pas l’existence de lobbies auprès de ses élus quand la Commission européenne répertorie quinze mille lobbyistes et de deux mille six cents groupes d’intérêts.
Il est clair que l'absence de réglementation en cette matière ne peut que favoriser les intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général.
Tiens, au hasard, ce fil : DADVSI : retour sur une success story à la française ne pourrait il rien nous apprendre sur la question du lobbying et son rôle primordial quoiqu'obscur dans notre démocratie ?
Voyons ce qu'en pense un élu de la République :
www.couchet.org/blog/index.php?2006/02/ ... es-perversL'émission « Complément d'enquête » de France 2 lundi 13 février était consacré au thème « Musique, CD, Internet : un marché en guerre ». L'occasion de voir un parlementaire évoquer des pressions anti républicaines de certains lobbies et un « avocat spécialisé dans les problèmes Internet » visiblement en mission commandée pour assimiler logiciels de P2P et logiciels libres.
Pressions anti républicaines
L'un des reportages montre l'audition par des députés UMP de représentants de l'industrie du disque. Sont présents : Bernard Carayon (député UMP), Murielle Marland-Militello (députée UMP) et Christian Daviot (collaborateur de Bernard Carayon) reçoivent Hervé Rosny (SNEP), Frédéric Goldsmith (SNEP) et un troisième que je n'ai pas identifié. L'ambiance était apparemment tendue. Le commentaire de la journaliste est
« Ce jour-là le débat est tout de même resté dans des limites courtoises mais ce n'est pas toujours le cas. Selon Bernard Carayon et son collaborateur (Note: il s'agit de Christian Daviot) d'autres adversaires de la licence globale utilisent des arguments plus radicaux. »
A l'issue de la réunion, la journaliste interroge Bernard Carayon et Christian Daviot. Les propos sont éloquents :
Christian Daviot :
« Quand un président d'organisme menace des parlementaires de leur supprimer des subventions pour des festivals c'est du lobbying. Voilà. »
Bernard Carayon :
« C'est plus que du lobbying. »
Christian Daviot :
« C'est anti républicain »
Bernard Carayon :
« Voilà, exactement. Lorsque s'exerce du chantage, on n'est plus dans l'influence. On n'est plus dans l'argumentation. On est dans un rapport de forces. Ca évidemment c'est inacceptable. Mais lors du débat au parlement nous aurons l'occasion évidemment d'éclairer l'opinion publique sur les conditions de ce débat. »
La journaliste :
« De telles pressions sont habituelles ? Qu'il y ait des pressions sur des parlementaires on le sait. Mais là apparemment c'est ... au départ c'est un débat sur la musique.»
Bernard Carayon :
« Mais les enjeux financiers sont considérables. Et, les enjeux financiers, parfois, justifient pour certains des méthodes que la morale réprouve. »
Ainsi donc, un député de la majorité nous apprend qu'une partie de la redevance copie privée (les fameux 25% destinés à la création artistique) est utilisée comme chantage par au moins un représentant d'une société civile de perception et redistribution de droits
Quelques fils sur Framagora :
Des députés dragués en toute discrétion...
Livre : Députés sous influence
Le lobbying fait évidemment partie du quotidien des chaînes de télévision :
Quand les lobbies (dé)font les lois, Le Monde diplomatique - mars 2007Plus récemment, en janvier 2007, la loi sur la télévision du futur a permis aux grands groupes privés TF1, Canal+ et M6 de se voir concéder gratuitement une chaîne supplémentaire dès l’extinction de la diffusion analogique, en 2011. Ce qui leur permettra de continuer à disposer d’une longueur d’avance sur leurs concurrents sitôt que le numérique sera devenu la norme unique des programmes de télévision. Au même moment, malgré sa présence aux côtés de TF1 au sein du Club sur l’avenir de l’audiovisuel, animé par le député UMP du Rhône Emmanuel Hamelin, France Télévisions a échoué à faire passer un amendement présenté par le député radical de gauche Roger-Gérard Schwartzenberg : il préconisait d’autoriser le groupe public à insérer de la publicité dans ses émissions de divertissement dites de « flux ». N’est pas TF1 qui veut...
Sur cette question, voir aussi ce fil Adoption du projet de loi relatif à la télévision du futur
Ces dysfonctionnements reconnus de notre démocratie vont ils être mis en veilleuse jusqu'à la prochaine campagne présidentielle ou une prise de conscience citoyenne (bien que les grands médias n'y aient pas intérêt) contraindra t-elle l'Etat à amputer sa jambe gangrenée ?
Qui veut lancer une pétition ?
http://libre-ouvert.toile-libre.org/
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