Les TICE dans les lycées : c'est un projet qui, je pense, part d'une bonne intention, mais comme toujours dans l'Educ Nat, ca foire.
Petit constat personnel du point de vue de l'Université et de ma propre scolarité, si vous le voulez bien.
Au départ, il y avait des MO5, et diverses autres bécanes, jusqu'au collège, nous permettant d'apprendre les joies du Basic et du Pascal. On programmait (mais j'ai eu la chance d'avoir des informaticiens (parents d'élèves) qui venaient aimablement nous apprendre deux heures par semaine, quelques rudiments d'informatique).
Puis il y a eu le "multimédia", on met du tout-et-n'importe-quoi au simple titre d'un apprentissage optimisé, au nom de l'"interactivité", et au prix de diverses éditions de Cd-Rom "éducatifs" et autres "didacticiels". Ca ne m'a jamais passionné, et mes copains du collège et du lycée non plus.
Du côté de la Recherche en "Sciences de l'Education", vinrent les gourous de l'éducation nationale qui, encore aujourd'hui d'ailleurs, organisent une masturbation intellectuelle sur l'apprentissage grâce au TICE sans avoir quasiment jamais programmé eux-mêmes pour glauser sur des objets qu'ils ne maîtrisent pas eux mêmes (j'exagère : bien sûr que dans cette discipline nous retrouvons des gens très compétents).
S'ajoutent à cela, les effets d'annonce des politiques, eux-mêmes conseillés par ces gourous, au nom de l'informatique pour tous, de l'informatique-vecteur-d'égalité-dans l'éducation, bref, c'est génial, tous les lycées disposeront de superbes équipements, ce qui justifie ensuite des hausses de dépenses dans l'EN (au détriment des recrutements de personnels) : voyez : la France dépense pour les jeunes générations ! Fautes de moyens humains suffisants, comme le fait remarquer l'initiateur du post, évidemment, les TICE au lycée, c'est du flan.
Du côté de l'apprentissage, je crois que nous atteignons des sommets en matière d'incompétence et d'échec. Je m'explique.
Incompétence n'est pas à prendre dans un sens péjoratif. Simplement, lorsqu'on demande à un enseignant d'apprendre aux élèves à se servir d'un ordi lorsque lui-même ne maîtrise pas le centième, que lui reste t-il à faire? Il enseigne ce qu'il sait lui-même. Côté logiciel, ce sera du windows et de l'internet. Côté apprentissage : "comment se documenter grâce à internet", etc.
C'est là que le bât blesse.
Lorsque je demande à mes étudiants de me rendre un devoir maison sur un sujet (en fait j'en suis réduit à ne plus le demander), je retrouve dans une grande majorité de cas, du repompage de sites web, même en ayant prévenu auparavant les étudiants. A plusieurs reprises j'ai tenté de discuter (et le temps me manquait) à propos du plagiat, du respect des droits d'auteurs, de la fiabilité des informations, de la manière dont internet pouvait être utile et comment certaines informations pouvaient être jugées fiables ou non-fiables.
En réalité, c'est tout un travail qui aurait dû être fait au collège et au lycée pour des étudiants qui aujourd'hui me disent invariablement "mais c'est comme cela que nous avons appris à faire des exposés!".
Juste pour rire : certains vont parfois jusqu'à imprimer directement des pages web (3-4 pages!) pour mettre leur nom dessus, accompagné d'une intro et d'une conclusion écrites à la main. D'autres m'ont recopié à la main des pages de wikipédia dans l'intégralité, sans rapport, évidemment, avec le sujet et sa problématique.
Nous nous sommes réunis maintes fois entre enseignants pour discuter de ce problème. Certains sont partisants de solutions radicales : "zéro pour tout passage recopié sans référence" (évidemment, le plagiat est le crime suprême dans la Recherche (!) )
D'autres comme moi, n'oublient pas qu'il fut un temps où nous recopiions parfois un passage de bouquin dans une dissertation, mais tout de même en changeant le style, en s'appropriant la pensée de l'auteur : du plagiat, certes, mais un peu de pensée critique tout de même (ca arrive à tout le monde de sécher). Lorsqu'on fait du plagiat il faut tout de même s'arranger pour que cela s'intègre dans le devoir. Certains étudiants n'ont même pas ce soucis.
Je sais qu'il y a des enseignants en collège et lycée qui me liront (même des instituteurs, car à l'école aussi, la question peut se poser). Je vous dis : stop, essayez, autant que faire se peut, de freiner le massacre organisé par l'Education Nationale (heureusement énormément d'enseignants tentent de le faire jour après jour). On apprend aujourd'hui aux jeunes que "puisque c'est écrit sur internet, alors c'est vrai", évidemement l'ensemble est corrélé à : "puisque TF1 le dit, alors c'est vrai!".
Manque de pensée critique ? je ne crois pas, et c'est un paradoxe. Les étudiants que je fréquente sont très vifs, ont envie d'apprendre dans la majorité, et posent un oeil critique sur le contenu des enseignements, sur la vie publique, etc.. C'est lorsqu'on leur demande un travail formel pour exercer cette critique que l'ancien collégien/lycée en eux se réveille et pense qu'il faut démontrer qu'il est capable d'aller chercher de l'information (la "consommer", puisque c'est le mot) et la restituer telle quelle à l'enseignant sans rien s'approprier soi-même. Bref, l'intellect devient alors, inexplicablement, une surface totalement lisse, sans aspérité, bref, sans pensée.
Est-ce entièrement de la faute au TICE dans les lycées ? certainement pas. C'est la société de consommation qui y est pour beaucoup (cf. la publicité pour Windows Vista "
Blonde Edition"). Mais très honnêtement, à force de bourrer le mou aux jeunes gens en matière d'utilisation de l'informatique, on obtient des jeunes (pas tous, heureusement) qui, arrivés dans l'enseignement supérieur, savent à peine se servir d'un traitement de texte, encore moins d'un éditeur, n'ont jamais rien programmé, pensent que grâce à l'ordinateur et internet ils vont obtenir de bons résultats sans faire d'effort supplémentaire puisque c'est ce qu'il s ont retenu des années précédentes. Avoir le bac en poche et en rester là pour ce qui concerne l'effort de pensée personnelle, j'appelle cela un échec.
Nous sommes une société de l'information. Apprendre aux jeunes à la consommer nous mènera certainement à la catastrophe. Leur apprendre à maîtriser cette information (et cela passe, concernant les TICE, par l'apprentissage de l'Informatique avec un grand I) c'est leur assurer une certaine sécurité.
Alors oui, il faut dans les lycées des gestionnaires réseaux, ils faut des compétences et des moyens humains capables de gérer des équipements convenableemnt. En contrepartie, demandons à un professeur de maths de faire des maths, à un professeur d'histoire-géo, de faire de l'histoire-géo, et à un PROFESSEUR D'INFORMATIQUE d'enseigner l'informatique. Pourquoi vouloir absolument que chaque gamin puisse toucher un ordinateur dans sa scolarité si c'est poru se contenter, justement, de le toucher et d'ingérer du contenu ? Que retient-il face au flux incroyable d'information qu'il subit avec internet? La réponse est claire : "à quoi sert-il que je me fatigue à penser, à chercher et à comprendre, puisque "tout" est accéssible par les médias". "Je ne ferai jamais rien d'original". Bref, on bascule alors dans un monde profondément déprimant !
En caricaturant, je pense que vous pouvez très bien demander à un élève de Seconde de vous expliquer l'histoire de la physique quantique si vous lui avez bien appris auparavant comment se servir d'internet, d'un traitement de texte et du raccourci copier/coller.
Pour le reste (et là, je suis super-réac), lecture de livres et écriture pour tout le monde. Lorsque je vois des étudiants en biologie qui se réfugient dans les "sciences" pour échapper justement à la lecture et à l'effort critique, je ne m'étonne plus de rien (comment former des scientifique qui se refusent à penser?). Idem en lettres (comment former des gens de lettres qui ne s'intéressent pas aux sciences?). Les TICE, lorsqu'elles ne sont réduites qu'à être une forme de consommation de l'information à l'école, amènent naturellement les jeunes à l'absence de pensée (et je ne suis pas si vieux pour dire cela).