J'avais juste envie de faire une digression sur cet article du framablog
Dans la deuxième partie du roman de Balzac, Illusions perdues on a une opposition entre le milieu littéraire "pur" et le milieu journalistique très corrompu. Dans l'histoire le personnage principal (Lucien) a l'ambition d'être écrivain, il monte à Paris pour se faire sa place ce qui suscite de nombreux dilemmes dont celui-ci : écrire un article démolissant une œuvre littéraire qu'on apprécie.
Voilà l'extrait :
Quel rapport avec l'article de François-Xavier Ajavon ?
Comme beaucoup de bloggueurs, il applique ces méthodes journalistiques (qui les siècles passant sont encore plus médiocres).
Dans la deuxième partie du roman de Balzac, Illusions perdues on a une opposition entre le milieu littéraire "pur" et le milieu journalistique très corrompu. Dans l'histoire le personnage principal (Lucien) a l'ambition d'être écrivain, il monte à Paris pour se faire sa place ce qui suscite de nombreux dilemmes dont celui-ci : écrire un article démolissant une œuvre littéraire qu'on apprécie.
Voilà l'extrait :
— Voici un exemplaire du livre de Nathan que Dauriat vient de me donner, et dont la seconde édition paraît demain ; relis cet ouvrage et fais un article qui le démolisse. Félicien Vernou ne peut souffrir Nathan dont le succès nuit, à ce qu'il croit, au futur succès de son ouvrage. Une des manies de ces petits esprits est d'imaginer que, sous le soleil, il n'y a pas de place pour deux succès. Aussi fera-t-il mettre ton article dans le grand journal auquel il travaille.
— Mais que peut-on dire contre ce livre ? il est beau, s'écria Lucien.
— Ha ! çà, mon cher, apprends ton métier, dit en riant Lousteau. Le livre, fût-il un chef-d'œuvre, doit devenir sous ta plume une stupide niaiserie, une œuvre dangereuse et malsaine.
— Mais comment ?
— Tu changeras les beautés en défauts.
— Je suis incapable d'opérer une pareille métamorphose.
— Mon cher, voici la manière de procéder en semblable occurrence. Attention, mon petit ! Tu commenceras par trouver l'œuvre belle, et tu peux t'amuser à écrire alors ce que tu en penses. Le public se dira : Ce critique est sans jalousie, il sera sans doute impartial. Dès lors le public tiendra ta critique pour consciencieuse. Après avoir conquis l'estime de ton lecteur, tu regretteras d'avoir à blâmer le système dans lequel de semblables livres vont faire entrer la littérature française. La France, diras-tu, ne gouverne-t-elle pas l'intelligence du monde entier ? Jusqu'aujourd'hui, de siècle en siècle, les écrivains français maintenaient l'Europe dans la voie de l'analyse, de l'examen philosophique, par la puissance du style et par la forme originale qu'ils donnaient aux idées. Ici, tu places, pour le bourgeois, un éloge de Voltaire, de Rousseau, de Diderot, de Montesquieu, de Buffon. Tu expliqueras combien en France la langue est impitoyable, tu prouveras qu'elle est un vernis étendu sur la pensée. Tu lâcheras des axiomes, comme : Un grand écrivain en France est toujours un grand homme, il est tenu par la langue à toujours penser ; il n'en est pas ainsi dans les autres pays, etc. Tu démontreras ta proposition en comparant Rabener, un moraliste satirique allemand, à La Bruyère. Il n'y a rien qui pose un critique comme de parler d'un auteur étranger inconnu. Kant est le piédestal de Cousin. Une fois sur ce terrain, tu lances un mot qui résume et explique aux niais le système de nos hommes de génie du dernier siècle, en appelant leur littérature une littérature idéée . Armé de ce mot, tu jettes tous les morts illustres à la tête des auteurs vivants. Tu expliqueras alors que de nos jours il se produit une nouvelle littérature où l'on abuse du dialogue (la plus facile des formes littéraires), et des descriptions qui dispensent de penser. Tu opposeras les romans de Voltaire, de Diderot, de Sterne, de Lesage, si substantiels, si incisifs, au roman moderne où tout se traduit par des images, et que Walter Scott a beaucoup trop dramatisé . Dans un pareil genre, il n'y a place que pour l'inventeur. Le roman à la Walter Scott est un genre et non un système, diras-tu. Tu foudroieras ce genre funeste où l'on délaye les idées, où elles sont passées au laminoir, genre accessible à tous les esprits, genre où chacun peut devenir auteur à bon marché, genre que tu nommeras enfin la littérature imagée . Tu feras tomber cette argumentation sur Nathan, en démontrant qu'il est un imitateur et n'a que l'apparence du talent. Le grand style serré du dix-huitième siècle manque à son livre, tu prouveras que l'auteur y a substitué les événemens aux sentiments. Le mouvement n'est pas la vie, le tableau n'est pas l'idée ! Lâche de ces sentences-là, le public les répète. Malgré le mérite de cette œuvre, elle te paraît alors fatale et dangereuse, elle ouvre les portes du Temple de la Gloire à la foule, et tu feras apercevoir dans le lointain une armée de petits auteurs empressés d'imiter cette forme. Ici tu pourras te livrer dès-lors à de tonnantes lamentations sur la décadence du goût, et tu glisseras l'éloge de MM. Étienne, Jouy, Tissot, Gosse, Duval, Jay, Benjamin Constant, Aignan, Baour-Lormian, Villemain, les coryphées du parti libéral napoléonien, sous la protection desquels se trouve le journal de Vernou. Tu montreras cette glorieuse phalange résistant à l'invasion des romantiques, tenant pour l'idée et le style contre l'image et le bavardage, continuant l'école voltairienne et s'opposant à l'école anglaise et allemande, de même que les dix-sept orateurs de la Gauche combattent pour la nation contre les Ultras de la Droite. Protégé par ces noms révérés de l'immense majorité des Français qui sera toujours pour l'Opposition de la Gauche, tu peux écraser Nathan dont l'ouvrage, quoique renfermant des beautés supérieures, donne en France droit de bourgeoisie à une littérature sans idées. Dès lors, il ne s'agit plus de Nathan ni de son livre, comprends-tu ? mais de la gloire de la France. Le devoir des plumes honnêtes et courageuses est de s'opposer vivement à ces importations étrangères. Là, tu flattes l'abonné. Selon toi, la France est une fine commère, il n'est pas facile de la surprendre. Si le libraire a, par des raisons dans lesquelles tu ne veux pas entrer, escamoté un succès, le vrai public a bientôt fait justice des erreurs causées par les cinq cents niais qui composent son avant-garde. Tu diras qu'après avoir eu le bonheur de vendre une édition de ce livre, le libraire est bien audacieux d'en faire une seconde, et tu regretteras qu'un si habile éditeur connaisse si peu les instincts du pays. Voilà tes masses. Saupoudre-moi d'esprit ces raisonnements, relève-les par un petit filet de vinaigre, et Dauriat est frit dans la poêle aux articles. Mais n'oublie pas de terminer en ayant l'air de plaindre dans Nathan l'erreur d'un homme à qui, s'il quitte cette voie, la littérature contemporaine devra de belles œuvres.
Lucien fut stupéfait en entendant parler Lousteau : à la parole du journaliste, il lui tombait des écailles des yeux, il découvrait des vérités littéraires qu'il n'avait même pas soupçonnées.
— Mais ce que tu me dis, s'écria-t-il, est plein de raison et de justesse.
— Sans cela, pourrais-tu battre en brèche le livre de Nathan ? dit Lousteau. Voilà, mon petit, une première forme d'article qu'on emploie pour démolir un ouvrage. C'est le pic du critique. Mais il y a bien d'autres formules ! ton éducation se fera. Quand tu seras obligé de parler absolument d'un homme que tu n'aimeras pas, quelquefois les propriétaires, les rédacteurs en chef d'un journal ont la main forcée, tu déploieras les négations de ce que nous appelons l'article de fonds. On met en tête de l'article, le titre du livre dont on veut que vous vous occupiez ; on commence par des considérations générales dans lesquelles on peut parler des Grecs et des Romains, puis on dit à la fin : Ces considérations nous ramènent au livre de monsieur un tel, qui sera la matière d'un second article. Et le second article ne paraît jamais. On étouffe ainsi le livre entre deux promesses. Ici tu ne fais pas un article contre Nathan, mais contre Dauriat ; il faut un coup de pic. Sur un bel ouvrage, le pic n'entame rien, et il entre dans un mauvais livre jusqu'au cœur : au premier cas, il ne blesse que le libraire ; et dans le second, il rend service au public. Ces formes de critique littéraire s'emploient également dans la critique politique.
La cruelle leçon d'Étienne ouvrait des cases dans l'imagination de Lucien qui comprit admirablement ce métier.
Quel rapport avec l'article de François-Xavier Ajavon ?
Comme beaucoup de bloggueurs, il applique ces méthodes journalistiques (qui les siècles passant sont encore plus médiocres).
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JosephK
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