Je vais abuser un peu du droit de citation parce que je trouve pertinente et pércutante l'introduction ci-dessous.
La Sacem a fait un procès au cinéaste Pierre Merejkowsky parce qu’un personnage de son film «Insurrection résurrection» siffle «l’Internationale» pendant sept secondes. Refrains, romans, titres, tout n’est plus que marque déposée. Enquête
Ce qui nous vient des Etats-Unis, c’est la privatisation, opération par laquelle ce qui appartenait à tous devient la propriété d’un seul: un mot ou une suite de mots, un mythe, une couleur, une forme, et même un signe de ponctuation (la virgule de Nike). Tout se dépose, tout se protège, tout devient propriété, même les noms de chevaux. Des petits malins ont ainsi déposé à tout va des «noms de domaine» (sites internet), pour pouvoir les revendre à prix d’or à ceux qui en auraient besoin plus tard. Trouver un titre devient un casse-tête. Radio-France a déposé plus de 350 titres d’émissions, et en dépose 20 nouveaux tous les ans. Mais la journaliste Anne-Marie Gustave, qui a fait son enquête sur la question, raconte que France-Culture est attaqué en justice pour l’utilisation de «Science-Frictions», qui appartenait à un marchand de parapluies (?). Une marque de lingerie ayant déposé «Tam-Tam», Pascale Clark a dû intituler son émission «Tam Tam Etc.». L’antériorité ne suffit plus depuis longtemps. Radio-Luxembourg n’avait pas déposé «Quitte ou double», qu’elle a diffusé pendant vingt ans. Un fabricant de jeux bien avisé l’a déposé pour son compte; quand RTL a voulu reprendre l’émission, son émission, il a fallu payer une licence au propriétaire. Quant à la revue «le Monde de la musique», qui avait quitté depuis longtemps le giron du «Monde» quotidien, elle lui a pendant des années payé le droit d’imprimer le mot Monde en gothique sur sa couverture. Il est interdit de dessiner des oreilles rondes, elles appartiennent à Disney; il n’est pas conseillé de s’appeler Bernard quand on est boucher, ni de laisser voir la tour Eiffel de nuit dans un film sans payer des droits à l’éclairagiste.
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Avec la propriété vient le vol, et donc la judiciarisation de la vie. Le tribunal se fait omniprésent. Un bon avocat peut décider un juge à prendre des décisions ahurissantes. Depuis que François Cérésa a été attaqué par les héritiers de Victor Hugo pour avoir écrit une suite aux «Misérables», et qu’il a perdu en appel (il s’est pourvu en cassation), on ne s’étonne plus de rien. Tout s’attribue, tout se paie, tout se plaide. C’est que la privatisation ne connaît aucune limite, elle est devenue compulsive. Logo et marque déposée ont pris le pouvoir. L’idée de propriété a été poussée jusqu’à l’absurde, et le rôle du juge au grotesque. La protection d’une œuvre est une excellente chose, mais au nom du droit moral, imprescriptible en France, un héritier de Molière pourrait faire interdire une nouvelle mise en scène du «Misanthrope». Dans l’affaire qui a opposé en 2002 les chocolats Lindt au château de Versailles, on ne sait que déplorer, car tout y est déplorable. Versailles accuse Lindt d’abuser de l’image de marque du château. Ridicule. Versailles attaque Lindt. Minable. Lindt se défend, car le chocolatier est propriétaire de la marque (donc du mot) «Versailles». Incroyable. Lindt gagne son procès. Inouï. Qu’aurait-on pensé si Lindt avait perdu? Qu’on allait boycotter Lindt et Versailles? Mais Chambord est une marque déposée, et Marquise de Sévigné aussi.
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aKa
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