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le partage culturel : une nécessité humaniste

Forum dédié au débat avec les députés Carayon et Cazenave ayant eu lieu le 28 mars 2006.

Mar 28 Mars, 2006 10:24

Bonjour à tous,

En tant que professeur de lettres et fervent défenseur du PARTAGE CULTUREL, j'aimerais attirer l'attention des députés et des internautes sur des reflexions intéressantes tirées d'un article d'un professeur de littérature à l'université sur un Poète du XVIIIe siècle : CHENIER. Il est étonnant de voir comment le Pr. défend le partage culturel à partir d'une poésie qui date de 2 siècles et demi.

gras et surlignages sont de moi, afin de mettre en valeur ce qui a trait au problème de la copie des bien culturels :

"(…)
Il est si doux, si beau, de s’être fait soi-même ;
De devoir tout à soi, tout aux beaux-arts qu’on aime.
Vraie abeille, en ses dons, en ses soins, en ses moeurs,
D’avoir su se bâtir des dépouilles des fleurs
Sa cellule de cire, industrieux asile,
Où l’on coule une vie innocente et facile.
(Chénier, Poésies, GB, p. 292)

Contrairement aux illusions du self-made man qui se prend pour la source première des
biens qu’il accumule, la self-made bee ne peut pas ignorer que ses richesses lui viennent du
pillage de la propriété d’autrui : la douceur de « s’être fait soi-même » passe nécessairement
chez elle par la reconnaissance de ce qu’elle a su tirer « des dépouilles des fleurs ». Une telle
reconnaissance de dette ne l’empêche toutefois nullement de jouir en pleine « innocence » des
facilités d’une vie qu’elle se « coule » aussi douce que le miel qui lui sert de nourriture.
Contrairement à d’autres formes de pillage auxquelles se livrait massivement l’époque de
Chénier dans les colonies
(où résonnait aussi le vocabulaire de la « découverte », Turgot
faisant de Christophe Colomb la figure de proue de l’audace inventrice), le vol de l’abeille ne
relève pas de la prédation. Si le ferment rapporté d’ailleurs contribue à enrichir et adoucir sa
vie (comme le sucre cultivé dans les îles esclavagistes), elle contribue à son tour à vivifier
ceux qu’elle « dépouille » pour leur bien : son pillage pollinise les fleurs dont elle assure
l’inter-fécondation.
Comme l’indique ici aussi avec une remarquable précision le vers de
Chénier, son dépouillement participe donc à la fois du « soin » et du « don ».


Le modèle de butinage fourni par le poète volage va sur ce plan encore bien plus loin
que celui offert par l’insecte volant. On pourrait certes considérer que les auteurs se trouvent
entre eux dans un rapport d’échange de services similaire à celui que l’abeille entretient avec
la fleur (tu me donnes ton pollen / je te fertilise)
: lorsque « Souvent des vieux auteurs
j’envahis les richesses » (OC,159), en même temps qu’ils nourrissent la concrescence dont
émergera mon originalité, je donne vie à la descendance littéraire dont ils faisaient sans doute
le plus cher de leurs voeux. Si échange de services il y a, il relève toutefois d’un mécanisme
très particulier dû au fait qu’une partie des biens impliqués dans ces processus sont des biens
non-rivaux
: alors que le nombre d’abeilles pouvant butiner un champ de fleurs est forcément
limité, le nombre de poètes pouvant imiter la quatrième Géorgique de Virgile est infini
puisque chacun y puise son inspiration sans nullement diminuer le stock de richesses que ce
texte offre à ses autres lecteurs. Le pillage auquel se livre celui qui « doit tout aux beaux-arts qu’il aime », parce qu’il porte sur des biens non-rivaux, a la propriété de tirer des richesses des oeuvres sans jamais leur en enlever pour autant. Tout au contraire, comme on vient de le voir, chacun de ses « mille larcins » apporte quelque chose à ceux qui se voient ainsi butinés (de la reconnaissance, de la notoriété, de la gloire).


Comme l’explicitera Gabriel Tarde, mais comme le pressent déjà une époque qui
commence à s’intéresser de très près aux phénomènes de modes et de publicité, l’imité gagne
en puissance chaque fois que quelqu’un reproduit la manière d’être (modus) dont il est
porteur. La fin du XXe siècle n’a nullement inventé la logique des réseaux et des standards,
dont elle est seulement devenue davantage consciente : le destin des genres littéraires
témoigne depuis toujours de ce que la vie des « beaux-arts » vient de ce « qu’on les aime », de
ce qu’on les imite, de ce qu’on en adopte et reproduise les normes, de ce que l’on tisse (entre
les mots, entre les oeuvres, entre les attentes, entre les écoles) des réseaux qui reconfigurent
selon leur topologie propre les données brutes offertes à nos sens et à nos esprits. Imiter,
copier, répéter, c’est donc nourrir la puissance du réseau dont l’imité tient sa force propre.
(Par quoi apparaît l’égale absurdité des « juges sourcilleux » qui condamnaient hier les larcins d’A.C. et qui sanctionnent aujourd’hui, (au mieux) de blâme moral ou (au pire) de prison, les praticiens du « copillage ».)


On ne s’étonnera pas de voir Chénier mêler l’eau et le feu pour rendre compte de
l’économie politique très paradoxale dont relèvent ces processus imitatifs :

Je m’abreuve surtout des flots que le Permesse
Plus féconds et plus purs fit couler dans la Grèce ;
Là Prométhée ardent, je dérobe les feux
Dont j’anime l’argile et dont je fais des Dieux. (OC,159)


Dans le chapitre 5 « De la Propriété » du second Traité du gouvernement de Locke,
texte fondateur de l’individualisme possessif, l’eau de la rivière à laquelle on s’abreuve
apparaît comme l’exemple paradigmatique d’un bien échappant à la rivalité de par son
caractère inépuisable : je peux boire tant d’eau qu’il me plaît, la rivière en fournira toujours
assez et d’aussi bonne qualité pour autrui
(§33). S’abreuver dans les flots du Permesse
illustre donc bien ce butinage innocent dont les mille larcins ne lèsent personne, esquissant un exemple de « largesses » semblable en cela aux flots de lumière et de chaleur que Phoebus* « verse » sur la terre. Quant au feu, il est lui aussi l’exemple le plus fréquemment utilisé par les économistes de deux derniers siècles pour communiquer l’idée d’un bien non-rival, que l’on peut donc « donner » sans le « perdre » : une infinité de voisins peuvent venir allumer leur torche à mon foyer sans que celui-ci n’en perde rien de sa vigueur – j’aurai au contraire beaucoup à y gagner (davantage de lumière et de chaleur dans mon voisinage, la possibilité de rallumer ultérieurement mon propre feu s’il venait à s’éteindre, etc.). Dérober le feu n’est donc un crime qu’envers des Dieux jaloux de leurs privilèges exclusifs (droits d’auteur et copyrights) et du pouvoir de domination que ces derniers leur assurent.

(…)
De même que les Dieux ne sont que de l’argile animé par nos « soins » (nos dons, nos
brigandages et nos dérobades), de même le monde des idées n’est-il que le résultat d’un lent
et interminable processus de concrétion purement humain, qui se déroule en parallèle étroit
avec le développement et l’évolution des langues – processus dont un extrait du bien nommé
Essai sur les causes et les effets de la perfection et de la décadence des lettres et des arts
donne un survol saisissant :

cet amas d’idées et d’affections primitives et vraies, et leurs conséquences, et ce
long enchaînement de pensées morales, dont la base est la connaissance de l’homme,
agrandi de siècle en siècle et qu’on peut appeler le patrimoine de toutes les
générations et de toute l’espèce humaine, ne mourra qu’avec elle, et s’alimente de
lui-même ; les objets qui le composent se travaillent et se grossissent dans chaque
cerveau où ils passent.
(OC,690)


Comment mieux rendre compte de ce que le post-marxisme contemporain appelle le
general intellect ? Comment mieux rappeler aux tentations de l’individualisme possessif que les vraies sources de nos richesses sont à chercher dans ce commun qui nous nourrit et nous informe de part en part, et dont la langue « commune » fournit la manifestation la plus éclairante ? Comment évoquer plus précisément ce processus d’auto-alimentation à travers lequel l’humanité « se travaille » (sculpte son devenir), par la concrétion accumulatrice d’une infinité de petits choix locaux prenant consistance commune et venant informer en retour les choix ultérieurs ? Cet « amas d’idées et d’affections », cet « enchaînement de pensées », voilà bien la nature ultime du flux qui « s’écoule » à travers nos plumes, non sans « se grossir » (et se décanter) à chaque fois qu’il « passe dans un cerveau » humain. Bien loin de relever de la dépossession de soi, l’imitation inventrice théorisée et pratiquée par André Chénier nous appelle à la réappropriation collective d’un « patrimoine » commun, produit « de toutes les générations et de toute l’espèce humaine », dont chacun de nous est à la fois le résultat, le canal de transmission, le copiste et le réinventeur infinitésimal."


* Poebus = Apollon = Le Soleil

AC = André Chénier
OC = Œuvres complètes de A. Chénier, Ed. Pléiade
GB = Edition des Imitations, de l’Art d’aimer et des Elégies de Chénier par MM. E. Guitton et G. Buisson, Ed. Paradigme 2005

Extraits de l’article :
« André Chénier entre l’abeille et la harpe éolienne :
enjeux poétiques et politiques de l’imitation inventrice »
Yves CITTON
(Université de Grenoble 3 – UMR LIRE)
Texte à paraître dans les actes du colloque Ferments d’Ailleurs (Université de Grenoble 3, novembre 2006)
disponible sur le site de LIRE Grenoble : http://www.u-grenoble3.fr/lire/conferences/index.html

Nul doute que le P2P est un moyen sans précédent pour le partage culturel pour TOUS dans l'égalité et la liberté, dans la richesse culturelle et l'égalitarisme économique. Le P2P vaincra, ou du moins survivra (crypté) : cela ne fait aucun doute, et le gouvernement actuel enchaîne les erreurs politiques, économiques et idéologiques avec DADVSI et le CPE.

En vertu des valeurs exaltées dans cet article, et qui font la fierté de la VRAIE FRANCE, la FRANCE HUMANISTE et non la France mercantile à la botte du patronnat et des majors, j'appelle à la résistance face aux lois liberticides et totalitaires DADVSI.
Brainstorm

Messages : 2

Mar 28 Mars, 2006 13:16

Bel élan, mais quelle est la question posée aux députés ?
Forest Ent

Messages : 391

Mar 28 Mars, 2006 14:58

Ce n'est pas une question : c'est une sommation civique au nom de l'humanisme culturel : ANNULER LA LOI DADVSI.
Brainstorm

Messages : 2

Mar 28 Mars, 2006 15:23

Bonjour à tous,

@Brainstorm
Merci pour votre intervention, mais si vous pouviez ne pas HURLER, on est pas sourd ;).

Cordialement,

Totomatisme.
totomatisme

Messages : 2281
Géo : Paris

Mar 28 Mars, 2006 15:25

Brainstorm a écrit:Ce n'est pas une question : c'est une sommation civique ....
Mème si je suis daccord avec toi,

ce n'es pas le sujet ici.

Les 2 députés ne peuvent pas annuler la loi (et ne le souhaite pas)

Ils viennent pour répondre à des questions, c'est la seule chose qu'ils pourront faire .
Shnoulle

Avatar de l’utilisateur
Messages : 731
Géo : Roubaix

Mar 28 Mars, 2006 15:29

Bien sûr, mais ils ne sont pas obligés de voter pour cette loi lors du passage au sénat en mai...

En parlant d'annulation, le gouvernement la bien fait...lui...

Robil
Robil

Mar 28 Mars, 2006 15:40

S'il suffisait parler en vers pour emporter l'adhésion, Villepin aurait déjà fait passer le CPE. :)

Heureusement, il n'y a plus de droits d'auteur sur les poèmes de Chénier. Appolinaire, c'aurait été limite. Tiens une autre question aux députés :

"La durée des droits a été dans les dernières décennies prolongée de 50 ans après la parution à 70 ans après le décès de l'artiste (+10 ans de guerres). Ainsi, une oeuvre publiée en 1880 peut n'être toujours pas dans le domaine public. Cela vous semble t il justifié ? Sinon, quelle est pour vous la bonne durée ? Quand une oeuvre devient-elle "historique" ?"
Forest Ent

Messages : 391

Mar 28 Mars, 2006 16:04

Forest Ent a écrit: Sinon, quelle est pour vous la bonne durée ? Quand une oeuvre devient-elle "historique" ?"


Lorsqu'elle est morte et oubliée, voilà pourquoi le patrimoine culturel français s'appauvrit de décennies en décennies...
arfelas

Messages : 383

Mar 28 Mars, 2006 16:42

tient pour moi la bonne réponse c'est plustot quand elle n'est plus rentable, quand les majors se sont bien enrichis, et que vendre cette culture n'est plus rentble et donc que ca ne sert a rien de faire voter des lois pour la protéger.
gregory


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