Charge contre le téléchargementPar Ludovic Pénet, samedi 24 décembre 2005 à 18:17 :: Société de l'Information et de la Connaissance :: #64 :: rss
Quelques commentaires sur la « charge contre le téléchargement » publiée de Libération de samedi 24 décembre
On trouve pages 28 et 29 de Libé de ce samedi 24/12 une charge pour le moins brutale contre la licence globale, manifestement orchestrée par les majors, et où des artistes que l'on a connus plus clairvoyants se sont laissé entraîner.
Parmis eux, on remarquera Benabar (dont je viens d'ailleurs d'acheter le dernier album, que je vous recommande), qui avait signé l'appel à l'arrêt des poursuites lancé par le Nouvel Observateur.
Les grands arguments avancés sont les suivants :
1. Télécharger, c'est voler !
2. La gratuité démagogue !
3. Quelle répartition des recettes ?
4. Vous allez tuer la création !
5. De l'argent pour les FAI mais pas pour les artistes !
Bref, le discours martelé par le SNEP depuis maintenant déjà quelques années...
Quelques éléments de réponse :
1. Il ne faut jamais oublier qu'il s'agit ici de bien immatériels. Non, faire une copie d'une oeuvre ne revient pas à voler son support. Une fois que le support m'a été pris, je ne l'ai plus. Une fois qu'on a fait une copie de celle à ma disposition, il me reste toujours ma copie.
2. La licence globale n'est en rien gratuite. Nombre de personnes s'étaient d'ailleurs un temps ému de ce coût supplémentaire et cela a été l'un des principaux arguments pour retenir une offre optionnelle plutôt qu'une licence globale obligatoire. 5 euros par mois, cela fait 60 euros par an, à répartir ensuite entre les ayant droits.
3. Sans même évoquer les progrès que permet la technique, il est pour le moins curieux que des « poids lourds » de la scène musicale et la SACEM s'émeuvent de la difficulté à répartir une caisse entre ayant droits. Les sociétés de gestion collective sont pourtant rompues à l'exercice et ont l'habitude de recourir à divers sondages pour répartir les droits. Cela vaut toujours sur l'Internet. Mais il est également possible de faire mieux en analysant les flux transitant par les tuyaux des fournisseurs d'accès. Cette solution présente l'avantage de ne requérir aucune modification des postes clients, de ne pas imposer l'intégration d'une quelconque mesure technique dans les logiciels utilisés. Elle peut être anonyme et adaptée à la puissance de traitement actuellement à notre disposition. S'il serait en effet impossible d'analyser les flux en temps réel, et donc de filtrer, sauvegarder une tranche de flux (disons d'une heure), l'anonymiser (en changeant les adresses IP présentes dans le flux) puis la faire analyser par un tiers est envisageable. Cette analyse pourra à l'avenir tirer partie de meta-données spécifiques (des droits indiqués dans les fichiers), de « marques d'eau » (watermarking, sorte de signature intégrée à l'oeuvre) permettant de reconnaître l'oeuvre ; elle peut dès aujourd'hui consister en la comparaison de signatures calculées à partir des fragments de fichiers musicaux trouvés dans le flux avec une base de données de morceaux. Une telle solution serait, au passage, bien plus précise que les actuels sondages, dont on peine à croire qu'ils prennent en compte les morceaux joués lors d'une fête privée se déroulant dans une petite salle.. Autre argument à l'appui de cette faisabilité : les majors font déjà des statistiques des échanges sur les réseaux P2P et trouvent le moyen d'identifier et de porter plainte contre des échangeurs. Ce même type de technologie peut être utilisé pour rémunérer plutôt que pour réprimer.
4. Grâce à la répartition au plus juste de la véritable manne financière apportée par la licence globale, plus de créateurs pourront donc être rémunérés au plus juste et à moindre frais (un esprit taquin pourrait ironiser sur les frais généraux de la SACEM, mais peut-être n'est-ce pas le moment dans ce contexte tendu). Cela encouragera la création en améliorant son financement et en la rendant plus accessible au plus grand nombre.
5. L'argument de Benabar, que j'apprécie particulèrement, sur les 30 euros payés par mois pour l'accès internet contre 7 euros pour la licence globale m'a tout d'abord interpellé. Il est pourtant étrange : se préoccupe-t-on du modèle de la chaîne hi-fi de l'auditeur ? Faut-il faire payer plus cher au propriétaire d'une chaîne Bang&Olufsen qu'à celui d'un petit appareil aux performances douteuses fabriqué dans des conditions indéterminées ? Est-ce que l'on vend le carburant plus cher aux propriétaires de BMW (ou à ceux de 4x4 dont par le Benabar) qu'à ceux d'une Logan ? À l'évidence, non. Ce qui importe, c'est que la création soit financée. Mais Benabar met le doigt sur un point important : la non-progressivité de l'abonnement. Dans un monde idéal, une contribution proportionnelle devrait être prélevée et répartie selon à l'aide des systèmes mentionnés plus haut. Ce serait à l'évidence une meilleure solution.
Une des clés de la sortie de ce débat invraisemblable, où l'on voit bien que gens de l'Internet et gens du spectacle ne se sont pas suffisamment parlé - la faute en revient au ministère de la culture - est peut-être dans la redéfinition de la répartition des revenus de la licence globale. Pas seulement entre les ayant droits actuellement sous le robinet de la copie privée (auteurs, artistes-interprètes et producteurs, pour rester dans le monde de la musique), mais en intégrant d'autres acteurs indéniablement créatifs, comme, par exemple, les ingénieurs du son Un bon mixeur apporte indéniablement un plus à un enregistrement, ainsi que sa personnalité. Pourquoi n'a-t-il pas droit à une rémunération (à un nouveau droit patrimonial) et à la reconnaissance de la personnalité de son travail (à un nouveau droit moral) ? Nous ne sommes plus en 1957, les chanteurs, les groupes sont rarement enregistrés en une fois devant un unique micro...
Il est décidément plus que nécessaire de prendre le temps de mener, avec toutes les parties concernées, un large débat sur le droit d'auteur et les droits voisins à l'ère du numérique.